Exploration plastique et musicale
Structure globale en fractal
Performance de théâtre sonore
Œuvres ouvertes & champs sémantiques
Ce que disent les voix est une exploration plastique et musicale de trois poèmes de Luc Boltanski, Ce que disent les voix, L’herbe et Manifestations. Il s’agit à la fois d’un spectacle et d’une installation utilisant deux espaces mitoyens aménagés en miroir. Chaque salle voit, ou croit voir, grâce à la vidéo, ce qui se passe dans l’autre salle. Le projet fonctionne en deux temps : l’installation interactive l’après-midi, puis le spectacle.
Le thème conducteur, la Shoah, se déploie à travers plusieurs anecdotes : Strauss invité à Bayreuth par Hitler, l’évocation de quelques rescapés, des commentaires médiatiques de la Shoah, la polémique autour du carmel d’Auschwitz. Les voix sont d’abord absentes, en voix-off et vidéo-danse, puis s’incarnent progressivement dans un corps qui peut alors assumer sa parole.
Luc Boltanski développe une œuvre poétique très singulière tant par sa richesse expérimentale que par sa profondeur sémantique. La cohésion de cette suite est assurée, outre par le retour des mêmes thèmes, par l’usage d’une même forme qui lie chaque poème à son commentaire. Le thème, la Shoah, se déploie en une incarnation progressive de la voix, par l’usage de « voix off » et du comédien, mais également par la présence et l’absence du corps grâce à la vidéo et à la scénographie. Chaque pièce est équipée de plusieurs caméras, de vidéo projecteurs, de capteurs et d’un dispositif électro-acoustique quadriphonique. Les visiteurs deviennent acteurs de l’installation interactive l’après-midi, puis spectateurs lors du spectacle le soir.
La forme poétique est donc étendue à l’ensemble du projet dans une réflexion permanente sur le contexte et la métaphore. Ainsi, l’installation et le spectacle, les deux espaces scéniques, la musique et le texte, l’image et le son se commentent sans cesse.
Il s’agit de réintégrer le son au sein du théâtre, le texte parlé dans la musique, l’oralité dans l’écriture. Le soir, le comédien et les musiciens évoluent dans le même espace et avec le même dispositif, dans une dramaturgie adaptée aux poèmes de Luc Boltanski. Là encore, la forme est double dans un commentaire impossible de la parole et de la musique. Un comédien et un guitariste occupent seuls les plateaux. Les caméras captent le guitariste et le comédien pour que chaque côté ait toujours une vision d’ensemble de la partie opposée. Mais des présences fantomatiques apparaissent régulièrement sur la vidéo.
Le trouble naît de l’absence supposée mais incertaine. En effet, la captation des intervenants rend les images relatives à une présence effective, mais la présence uniquement sur vidéo de certains personnages crée une ambiguïté sur le réel. D’où l’impression d’inquiétante étrangeté.
Ce même phénomène est utilisé pour la voix. Les voix que l’on entend au départ sont absentes et le comédien n’intervient que sur certains vers prévus par le poème. La partie réellement prise en charge par le comédien croît en importance pour aboutir à un soliloque final. Cette incarnation progressive de la voix retrace la volonté d’une parole charnelle qui passe du domaine du sonore et de l’intellect à celui du vécu et de la chair.
Dans le cadre d’une réflexion sur la Shoah, ce travail sur l’enregistrement et l’instantané, sur l’écrit et l’improvisé (que ce soit en vidéo ou en son) est une forme de confrontation entre le vivant et le mort.
La réflexion sur le hasard et la détermination, constante pour les compositeurs d’aujourd’hui, a abouti à des œuvres du plus grand déterminisme au plus grand informel, parfois même chez un même compositeur, comme chez Stockhausen, Ligeti ou Cage. Néanmoins, malgré l’attention portée par Umberto Eco sur l’indétermination sémantique de l’œuvre, dont la forme n’est qu’une des réalités, cette préoccupation reste essentiellement formelle.
C’est dans cette perspective de champ sémantique compositionnel, que ce spectacle a recours à la fois à des partitions « traditionnelles » plus ou moins déterministes, notamment dans la gestion du temps pour une plus grande fluidité de l’interprétation du texte et des déplacements, mais également à des modules à contraintes construisant un ensemble clos de possibles dans lequel interagissent l’interprète et la machine.
Le premier effet de cette démarche est de toujours questionner la composition sur sa propre nécessité. L’improvisation, toujours contrainte par des règles ou des prédicats plus ou moins conscients, peut en effet être intégré à la composition comme un puissant moteur de variation, qui ne se trouve plus limité à un champ restreint, mais explore le plein potentiel d’un champ sémantique.
Wilfried Wendling
Par la compagnie Prométhée.
Passage Molière - 157, rue Saint Martin 75003 Paris