Synopsis
Note de mise en scène
Note sur l'adaptation
Les personnages
« Un étudiant assassine à coups de hache une usurière et sa sœur pour les voler. » Ce fait divers est la matière de l’œuvre la plus célèbre de Dostoïevsky, un vrai roman à suspense, fruit des années de bagne où l’écrivain côtoyait de grands criminels. Ses derniers chefs d’œuvre reviendront sans cesse sur le crime, le rachat et la place de Dieu dans un monde sans repères.
Car il est bien perdu, Raskolnikov, dans la grande ville où tous, nobles, petits bureaucrates, marchands et paysans déracinés sont emportés par une vie turbulente et cocasse. Il est le premier de ces héros qui se raccrochent à une idée comme à une bouée de sauvetage, et qui en son nom s’arrogent le droit radical de tuer leurs semblables. Dans son malheur il trouvera le salut, puisque Sonia la petite prostituée et le juge Porphyre l’aideront à rejoindre la société des hommes.
Notre spectacle donne une lecture de Dostoïevsky plus fantastique que réaliste ; tragédie burlesque sur la condition de l’homme moderne, qui restitue dans une nouvelle adaptation de deux heures l’essentiel du roman par un montage nerveux et truculent. Il se veut aussi un hommage à la grande époque du cinéma muet.
« …Si les découvertes de Kepler ou de Newton n’avaient pu s’accomplir sans que fût sacrifiée la vie d’un homme, voire de dix ou cent hommes, il aurait été de leur devoir de les écarter. Tous les fondateurs et réformateurs de l’humanité, Solon, Mahomet, Pierre le Grand, en instaurant de nouvelles lois transgressent par là même les anciennes, et ils ne peuvent reculer devant la nécessité de verser le sang si le succès de leur entreprise en dépend… » Raskolnikov
Lorsqu’on m’a proposé de monter Crime et Châtiment, des souvenirs de lecture sont apparus comme une fulgurance avec leurs traces inscrites à jamais en moi. Je l’avais lu il y a 17 ans et il me semble, comme sans doute à beaucoup d’entre nous, que c’était hier.
C’est plus qu’un roman ; ses images et ses thèmes universels persistent en nous de manière indélébile : la grande ville aux facettes multiples avec ses rues populeuses, ses cabarets enfumés, ses immeubles-casernes aux logements sordides et aux escaliers tordus ; la misère des « petites gens » et leur déchéance morale et physique ; le monde bureaucratique aux comportements étriqués, machiavéliques, voire surréalistes ; la prostitution, officielle ou déguisée par des mariages achetés ; la pression familiale qui agace autant qu’elle rassure… Et au milieu de ce monde interlope, Raskolnikov, sorte de héros négatif qui va être laminé par ses actes et leurs conséquences, par le crime et le remords (tout est dans le titre). C’est là, dans la dimension christique et humaniste du roman, que réside le thème central. Aidé de ses proches et de Sonia la jeune prostituée - son double dans la souffrance - Raskolnikov pourra atteindre la rédemption.
Comme Dickens, Sue ou le Hugo des Misérables, Dostoïevski a l’art de la narration vivante : tout grouille, tout palpite, tout a l’air d’être « là » devant nous, en nous. D’où l’intérêt de la représentation vivante, au théâtre. L’adaptation d’Eric Prigent cerne bien la thématique principale tout en respectant la destinée de chaque personnage. Les scènes sont ciselées et s’enchaînent dans un maelström de situations confinant à la tragi-comédie.
Nous privilégierons justement avec les acteurs ce flux de vies et de destinées, et concentrerons notre travail sur les états émotionnels intenses, l’alternance du dramatique et du burlesque propres au tempérament slave. En répétitions, nous explorerons l’univers du cinéma muet, du masque et du clown en parallèle avec l’approche progressive et délicate des personnages à incarner. Les costumes, les maquillages et surtout le jeu corporel contribueront à donner chair à chaque rôle et à en restituer, pour certains, toute la truculence.
Un décor minimal, plus suggestif qu’explicatif ; un dispositif scénique simple mais fort, aux matériaux légers pour permettre des transformations rapides ; l’exploitation du son et de la lumière ; tout cela permettra la fluidité des scènes et l’efficacité des enchaînements.
Enfin, je suis convaincu de la pertinence de ce projet pour les temps qui sont les nôtres. La thématique de Crime et Châtiment n’a certes pas d’âge, mais elle prend toute sa dimension de nos jours. Les sujets que j’évoquais plus haut, qu’ils soient périphériques ou centraux à l’action, rejoignent les préoccupations d’une société chaotique qui peine à trouver ses repères. La jeunesse de nos cités se retrouvera dans ces questionnements et pourra se situer par rapport à l’étudiant Raskolnikov et à ses semblables.
N’est-ce point là aussi la mission du théâtre ?
Serge Poncelet
Faut-il démontrer l’actualité de Dostoïevski ? André Glucksmann a intitulé Dostoïevski à Manhattan son essai sur les événements du 11 septembre. Plus près de nous en France, des faits divers tragiques et incompréhensibles nous rappellent le caractère opaque de l’âme humaine, l’isolement dans lequel elle peut s’enfermer. Cela, Dostoïevski a su mieux que tout autre l’exprimer ; son univers issu d’une société en perte de repères - une Russie qui s’essaie, en vain, à évoluer de l’autocratie au libéralisme - nous parle et nous concerne.
Mais ce n’est pas tout : Dostoïevski a créé une forme nouvelle qui donne une profonde jouissance au lecteur et qui se prête merveilleusement au théâtre.
Quand je l’ai découvert à la sortie de l’adolescence, c’était avec Crime et Châtiment que j’ai lu d’une seule traite. J’ai été embarqué par un maître du suspense qui mêlait philosophie et histoire policière avec un goût prononcé du « coq à l’âne » et un humour détonant. J’ai aussi eu l’impression très forte, radicalement nouvelle pour moi, de pénétrer la conscience de quelqu’un. Quant au sens profond, il ne m’est apparu qu’après coup, de façon oblique.
Mon adaptation veut restituer l’impression de cette première lecture. Elle est grandement redevable de Mikhaïl Bakhtine, qui dans son essai
La Poétique de Dostoïevski expose la vision « carnavalesque » de Dostoïevski sur le monde ; une vision plus fantasmagorique que réaliste et qui mélange allègrement les genres.
Donc on trouvera ici tous les genres du théâtre : le drame, la tragédie, mais aussi la comédie et la farce. Certains personnages sont des types de comédie ou de vaudeville. Le héros, Raskolnikov, est à la fois pathétique et ridicule. Le sublime s’exprime chez les héroïnes, voire d’une façon inattendue dans l’humanité madrée du juge d’instruction. J’ai aussi souhaité mettre en valeur le thème du Double
- qui rejoint celui du Diable, très présent chez Dostoïevski comme chez Gogol.
En réalité, les personnages se recouvrent ; chacun exprime de façon privilégiée une facette de Raskolnilov et alimente un dialogue qui pourrait n’être au fond, du début à la fin, qu’un débat intérieur. Mais alors que ce débat enferme le héros, le mène au crime et aux abords de la folie, c’est le dialogue authentique avec autrui qui le ramènera à la vie.
C’est là un point important : il n’y a pas de thèse, pas de message mais une polyphonie de points de vue exprimés par les différents personnages et qui résonnent dans la pensée de Raskolnikov ; tout cela dans une atmosphère onirique qui interdit une représentation réaliste ou psychologique de l’histoire.
Venons-en à la transcription pour le théâtre. Pour restituer le foisonnement du roman, j’ai choisi de représenter plus de 12 personnages - sans compter les « silhouettes » qui ne font que passer - à travers près de 30 scènes et 12 lieux différents avec seulement 8 comédiens, le tout en moins de 2 heures. Une gageure ? Le théâtre se nourrit de tels défis.
n tout cas, il s’en dégage une ligne claire qui nous garantit de ne pas faire « un
Crime et Châtiment de plus » : pas de réalisme et de psychologie ; une écriture qui recourt au montage dans un esprit plus cinématographique que théâtral au sens classique ; surtout un rythme enlevé voire allègre, sans pathos.
Comme chez Dostoïevski, la forme n’a pas à être en redondance avec l’état d’esprit du héros, elle doit refléter le foisonnement de la vie avec ses incohérences, ses émotions ; la vie à laquelle le héros doit s’abandonner pour trouver son salut.
Enfin, notre spectacle veut continuer une aventure collective puisque l’adaptation a été écrite en vue d’une troupe – je pourrais presque dire une famille – de comédiens qui travaillent ensemble et avec bonheur depuis trois ans. Ce sera notre troisième spectacle.
Eric Prigent
Marmeladov Sémion Zakharitch, fonctionnaire sans emploi, veuf, père d’une fille de 18 ans, d’une fille de 10 ans et d’un garçon de 4 ans.
Svidrigaïlov Arkady Ivanovitch, propriétaire terrien, veuf de Martha Pétrovna, ancien employeur de Dounia.
Raskolnikov Rodion Romanovitch, ex-étudiant en droit.
La vieille Aliona Ivanovna, usurière (rôle masqué).
Sonia, Sophia Sémionovna Marméladova, fille aînée de Marméladov, jeune prostituée.
Dounia, Avdotia Romanovna Raskolnikova, sœur cadette de Raskolnikov.
Razoumikhine Dmitri Prokofitch, étudiant, ami de Raskolnikov.
Elisabeth Ivanovna, sœur cadette de la Vieille (rôle masqué).
Daria Frantzovna, mère maquerelle d’origine allemande.
Zamiotov, jeune secrétaire du commissariat de quartier.
Le lieutenant Poudre Ilia Pétrovitch, officier du commissariat de quartier.
Porphyre Pétrovitch, juge d’instruction du commissariat de quartier, parent éloigné de Razoumikhine.
Loujine Piotr Pétrovitch, avocat, « fiancé » de Dounia.
Nicolas, jeune paysan devenu peintre en bâtiment.
Et trois messieurs masqués en goguette, une chanteuse tzigane, un garçon de cabaret, un agent de police, un passant, un médecin, un clochard, des clients du cabaret, des voisins, des fêtards.
L’action se passe dans les années 1860 à Saint-Pétersbourg, dans la chaleur torride des premiers jours de juillet. Il fait encore presque jour la nuit.
Le cadre est celui du Marché au Foin, quartier populaire du centre ville où vivent des petits fonctionnaires, des artisans et des ouvriers. On y trouve de nombreux débits de boisson et de jeunes (et moins jeunes) personnes vivant de leurs charmes.
78, rue du Charolais 75012 Paris