Une danse-cinéma
Ballet d'êtres et d'images
Deux ou trois choses que l’on sait d’elle. Il faudrait parler tout d’abord de la qualité d’écoute musicale propre à Michèle Noiret qui collabora quinze ans durant avec le compositeur Karlheinz Stockhausen croisé à l’école de Maurice Béjart, Mudra Bruxelles. Et puis s’intéresser de près aux nouvelles technologies qui s’invitent dans les chorégraphies de Michèle Noiret, dont la compagnie fut créée en 1986 – In Between, Twelve Seasons ou Territoires intimes, soit autant d’opus à la frontière des genres. Enfin, on finirait par évoquer la danse même de la dame, vécue de l’intérieur des corps, quelque chose comme l’exploration du plus secret des mondes, l’humain.
De deux points de vue, duo, est né d’une rencontre entre Michèle Noiret, Florence Viennot et Christophe Béranger, tous deux danseurs au Ballet de Lorraine. Les interprètes de cette pièce, pensée comme une danse-cinéma, portent des capteurs sans fil. Des caméras complètent le dispositif de Fred Vaillant : la scénographie de Philippe Hekkers vibre dès lors au rythme de ces captations d’images en direct et leur retranscription in situ. Le compositeur Todor Todoroff, autre fidèle de la chorégraphe belge, dédouble sa partition entre enregistrements en studio et parties live dues aux danseurs eux-mêmes. Le langage chorégraphique s’offre de nouvelles perspectives, les danseurs investissant l’espace de représentation et son environnement technologique, pourtant sensuel. « Les deux points de vue se transforment en une multiplicité de perceptions et de désirs », selon Michèle Noiret. L’évidence de son talent ne se refuse pas.
Philippe Noisette
Création vidéo Fred Vaillant
Conception et programmation d’interactions vidéos Fred Vaillant
Musique originale, conception et programmation d’interactions sonores Todor Todoroff
Distribution en alternance.
« Les lointains intérieurs» dont parle Henri Michaux révèlent des profondeurs insoupçonnées. Avec De deux points de vue, Michèle Noiret poursuit l’exploration de ces mondes intérieurs, dans un duo où un homme et une femme vivent sur un mode étrange une liaison indéfinissable. La danse-cinéma qu’elle élabore lui permet de passer de la surface à la profondeur, de s’enfoncerà l’intérieur de l’être, dans l’expérience du corps, sous la peau.
Michèle Noiret retrouve dans ce projet Fred Vaillant et Todor Todoroff (Mes jours et mes nuits, Sait-on jamais ?, Territoires intimes, Les Familiers du labyrinthe) qui ont développé un environnement technologique subtil, capable de dilater les rumeurs sonores et visuelles des corps. Cet environnement consiste principalement en deux systèmes complémentaires : des capteurs sans fils portés par les danseurs et des caméras scrutant l’espace. Leurs sensibilités perçoivent les infimes modifications gestuelles et rendent la scénographie directement réactive aux comportements des danseurs par le biais de transformations sonores ou visuelles.
Du point de vue musical, Todor Todoroff a accordé une grande attention à l’établissement de correspondances qui mettent en relation les mouvements captés et les paramètres qui régissent la synthèse, la transformation et la spatialisation du son. Ces parties live, où les danseurs sont également interprètes de la musique, répondent aux compositions électroacoustiques enregistrées en studio où le proche et le lointain, le clair et l’indéfinissable, le réel et l’imaginaire se rencontrent.
L’intégration des images à la scénographie de Philippe Hekkers contribue à donner à De deux points de vue son caractère de « danse-cinéma ». Les écrans classiques ont disparu et les projections se fondent dans la matière en permettant au décor des mutations incessantes. Toutes les images projetées proviennent des caméras live disséminées sur le plateau ; celles-ci permettent, entre autres, d’aller rechercher un détail sur scène et de l’amplifier ou d’exprimer une vision subjective. La vidéo peut être manipulée en temps réel par ordinateur, réagir aux données des capteurs et créer un visuel abstrait qui donne à la danse des éclairages multiples. La conduite vidéo, sensible et précise, de Fred Vaillant s’opère en symbiose avec le jeu des interprètes. À leur tour, les interprètes réagissent aux images projetées et jouent avec ces nouvelles « réalités ».
Cette palette de moyens techniques ne remplace pas l’humain, qui a toujours une place centrale dans la création chorégraphique de Michèle Noiret. Elle l’aide plutôt à rendre compte d’autres dimensions de l’être, de pensées plus secrètes, d’attitudes moins conscientes. Ces nouvelles technologies contribuent ainsi à creuser plus avant le langage chorégraphique et l’étrange relation qui unit la danseuse et le danseur, tous deux du Ballet de Lorraine. Les interprètes sont comme « fondus » dans un environnement dont on repousse constamment les limites. Les images deviennent l’extension rêvée des personnages chorégraphiques ; leurs mouvements déclenchent et manipulent les projections et les sons. Ils les déforment et les suspendent, le temps s’en trouve altéré, les réalités se confondent. Les deux points de vue se transforment en une multiplicité de perceptions et de désirs.
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