IIRIS
Hors cadre
La Compagnie DCA et Philippe Decouflé
Entretien avec Philippe Découflé
IIRIS (prononcer deux iris) est la suite d’IRIS, un nouvel épisode d’une série inachevée.
IIRIS, c’est comment dire, le changement dans la continuité,
la force tranquille d’un travail abracadabrantesque entrepris
autour de la femme et de l’homme,
autour des formes et du mouvement,
autour de la notion de spectaculaire,
autour du tour, bien qu’il n’y ait guère de pirouettes la dedans.
Ce nouvel IRIS sera donc différent du premier, présenté ici l’an dernier.
Différent parce que ce type de spectacle est dans sa conception même appelé à évoluer,
Construit sur une structure non-narrative,
mais poétique, physique, et donc fragile,
il bouge, comme les corps qui l’habitent,
puisque l’argument n’est que chairs et vibrations, ondes lumineuses et sonores,
fulgurances et ralentis,
puisque le fond est dans la forme,
il avance contre vents et marées,
à l’écoute du monde triste
il bouge, entre quat zyeux…
2iris
Philippe Decouflé
Philippe Decouflé a le sens du temps suspendu, celui de la beauté. Pas n'importe laquelle, celle qui s'offre l'air de rien, sans en rajouter, question d'élégance. Comme il est peu économe de ses idées - par amour de la dépense et haine de l'ennui - le feu d'artifice éclate à tout va, bouquet d'images suaves, chavirant les repères d'usage.
Danse, cirque, vidéo, cabaret, comédie musicale, Philippe Decouflé mélange les genres pour en extraire l'essence spectaculaire d'un monde unique, insolent d'invention. Avec rigueur et flamboyance, cet esprit ivre d'intensités toujours nouvelles, chez qui l'optimisme et la gravité se font des crocs-en-jambe, rêve de tirer la vie vers le haut, le rêve, le merveilleux. Depuis la palpitante cérémonie des J.O. d'Albertville en 1992, Decouflé s'est juré de rendre le public heureux. Une sorte de minimum vital de la part d'un artiste qui entend envers et contre tout résoudre la délicate équation de l'art et du populaire. On le sait déjà, ce ne sont pas de vains mots dans la bouche de cet artiste qui a redonné au mot divertissement son aura magique.
Mais cet amoureux de l'illusion sait aussi que la vie est un mirage après lequel on ne fait que courir. Heureusement, sur ses traces, le jeu en vaut la chandelle. Accompagné d'interprètes français, japonais et chinois, Decouflé compte une fois de plus faire exploser ses limites pour sortir du cadre. Vertige !
Rosita Boisseau
Le spectacle Iris a été créé le 11 octobre 2003 au Festival International des Arts de Kanagawa - Japon
En 1983 Philippe Decouflé fonde DCA, sa propre compagnie.
Un Vague café est créé en février 1983 avec Michèle Prélonge, Françoise Grolet et Eric Larrondo, obtient le Premier prix de chorégraphie du concours de Bagnolet et le Prix du ministère de la Culture. En mars, Philippe Decouflé danse avec Karole Armitage dans Parafango. Il crée également deux trios : Surprises à Châteauvallon en juillet 1983 avec Véronique Ros de la Grange et Karl Biscuit, Fraîcheur limite à Londres avec Michèle Prélonge et Karl Biscuit.
En 1984, Soupière de luxe est créé au Théâtre de la Bastille et Tranche de Cake au Festival d'été de Seine-Maritime. Trio épouvantable est présenté lors de la soirée d'inauguration du Théâtre Contemporain de la Danse.
Il reçoit le Prix nouveau talent danse de la SACD en 1985 et crée à Rouen, Danz Folklorik Martiennes, un trio avec Pascale Henrot et Spot. En mai 1986, les téléspectateurs découvrent le clip publicitaire de Butagaz chorégraphié par Philippe Decouflé.
Codex, créé à Amsterdam pendant le HollandFestival et présenté au Festival d'Avignon 1986, est inspiré par une encyclopédie dessinée à la fin des années soixante-dix par un jeune italien, Luigi Séraphini - le Codex Serafinianus - et peuplé d'animaux fantastiques, de plantes imaginaires et de légumes vivants.
Caramba ! court-métrage de 8 minutes est tourné en 1986 et reçoit le Prix de la qualité par le Centre National du Cinéma. En 1987 il réalise le clip vidéo de New Order.
Technicolor est créé à Barcelone. Il tourne la même année un deuxième clip musical, cette fois pour Fine Young Cannibals.
Il signe les chorégraphies de la Danse des sabots pour Bleu, Blanc Goude de Jean-Paul Goude, lors du défilé du 14 Juillet 1989, et réalise deux nouveaux films publicitaires, l'un pour Dior, l'autre pour Polaroïd. Ce dernier obtient le Lion d'Argent à Cannes en 1990.
Novembre, un divertissement chorégraphique, musical et cinématographique, conçu comme une suite de très courts numéros, est présenté au Musée Grévin en mars 1990.
Triton est créé au Festival d'Avignon, ajoutant au style (humour, images, décalages) le thème du folklore. Avec Philippe Guillotel, artiste plasticien, il invente des univers de formes, d'objets et de matières inattendues.
En 1990, retour vers la pub avec la marque Seïbu.
En 1992, il est choisi par le Comité d'organisation des Jeux Olympiques pour mettre en scène les Cérémonies d'ouverture et de clôture des XVIe Jeux Olympiques d'Hiver à Albertville. Cela deviendra un show avec 1500 personnages, en collaboration avec son alter ego costumier Philippe Guillotel et le jeune décorateur Jean Rabasse, révélé par le film Delicatessen, les musiciens Joseph Racaille, Woudi, Antonin Maurel et Martin Meissonnier. L'expression Decoufleries est consacrée, désignant par là cet art singulier et personnel de la rencontre incongrue entre le monde du cirque et ceux de l'image et de la danse.
Petites Pièces Montées est créé à l'Espace Malraux de Chambéry en novembre 1993. « Comment faire entrer et sortir mes danseurs par les cintres, comment les faire surgir du plancher, voilà une question qui m'oblige à interroger l'espace différemment. Je rêve de Méliès, de fantasmagorie. Tous ces éléments qui manquent cruellement au spectacle vivant ».
Le P'tit bal, 1993. Philippe Decouflé et Pascale Houbin y interprètent dans le langage des signes la chanson de Bourvil C'était bien. D'une durée de 4 minutes, ce film obtient de nombreux prix dans les divers festivals de cinéma du monde entier et est diffusé sur plusieurs télévisions.
En 1995, il signe la chorégraphie du Dernier Chaperon Rouge, court-métrage de Jan Kounen.
Denise, juin 1995, a été l'occasion donnée à plusieurs artistes de la nébuleuse DCA de développer leur propre travail. Dans la Chaufferie, laboratoire de recherches spectaculaires à Saint-Denis, la Compagnie DCA a accueilli près de 3 000 personnes pendant une semaine.
A partir de Codex, Philippe Decouflé décide de créer Decodex. Des microbes, des volatiles fantastiques, des plantes extraordinaires et des légumes bizarres se retrouvent sur la scène du Festival Marseille Méditerranée en juillet 1995. « Decodex s'avère être une des meilleures créations de Philippe Decouflé, truffée de gags et d'inventions délicieuses… » René Sirvin, Le Figaro.
Ce spectacle tournera en France et à l'étranger (Belgique, Allemagne, Danemark, Espagne, Brésil, Royaume-Uni et sur les routes de l'Europe Centrale - Estonie, Russie, Ukraine, Pologne, Slovaquie, Hongrie, Croatie, Slovénie…).
En 1996, au Japon, Philippe Decouflé met en scène la comédie musicale Dora, le chat qui a vécu un million de fois et réalise l’ensemble des publicités pour la nouvelle numérotation de France Télécom. Pendant ce temps à la chaufferie de Saint-Denis on présente Micheline par Sébastien Libolt et La Trabant.
En 1997, il met en scène l’Art en Parade pour l’Atelier des Enfants du Centre Georges Pompidou. Il orchestre la Cérémonie du Cinquantenaire du Festival International du Film de Cannes, et crée Marguerite à Saint-Denis, un avant-goût de Shazam!
En septembre de la même année, Philippe Decouflé travaille sur un essai cinématographique intitulé Abracadabra vidéo de 37 minutes. Il crée Shazam ! en mars à la Rochelle et présente en juin à Saint Denis Tritonet les petites tritures, une recréation sous chapiteau de Triton.
En 1999, il signe l’habillage publicitaire de France 2.
En 2002 Philippe Decouflé met en cercle les 14 élèves du Centre National des Arts du Cirque, dans une production intitulée Cyrk 13. Ce spectacle tourne actuellement en Europe.
L’année 2003 verra la naissance du premier Solo de Philippe Decouflé, chorégraphié et interprété par lui-même, ainsi que la création de Iris, production réalisée au Japon avec des danseurs japonais, chinois et français. Ces spectacles tournent actuellement en France et en Europe.
A l’invitation de l’Opéra de Lyon, Philippe Decouflé monte en mars 2004 Tricodex avec les danseurs du Ballet de l’Opéra. Il s’agit d’une recréation basée sur Codex et Decodex, réunissant à nouveau les complices habituels (Philippe Guillotel, Jean Rabasse, Sébastien Libolt et Hugues de Courson). Ce spectacle a tourné en France et aux Etats-Unis et fera partie du répertoire du Ballet pour les années à venir.
Parcours d’homme de scène et d’images, un nouveau DVD sorti en 2004 donne un aperçu des expériences filmées de Philippe Decouflé ainsi que de son dernier spectacle Iris.
Dans un des premiers films de votre carrière - quelques images tirées de la pièce Le Trio Épouvantable avec Michèle Prélonge et filmées dans un studio de la Ménagerie de Verre à Paris
-, vous livrez en une phrase très courte le secret de votre travail : le rêve. En est-il toujours ainsi ?
Je pars effectivement de très peu de choses. Une odeur, un son, un geste peuvent donner l’élan à une pièce. Un rêve aussi, souvent. J’ai des rêves récurrents que j’adapte dans mes spectacles. Je rêve beaucoup. Par exemple que je marche sur les murs la nuit. Quand on a une image précise en tête avec son parfum, sa couleur, son atmosphère, on peut toujours travailler à l’incarner sur scène. Ensuite les idées viennent petit à petit, au fur et à mesure de l’élaboration avec les danseurs qui s’approprient les pistes que je leur confie et les font évoluer par rebonds, associations d’idées. Le fameux solo d’Éric Martin dans Decodex au fil duquel il dessine son corps avec ses doigts, je l’avais rêvé d’abord. Une nuit, Éric m’est effectivement apparu couvert de tatouages. Je lui ai raconté mon rêve le lendemain et on a commencé à chercher le dessin de ces entrelacs sur la peau.
Vous dessinez depuis votre enfance, vous êtes par ailleurs fan de bande dessinée. Comment votre pratique du dessin nourrit-elle votre recherche chorégraphique ?
Enfant, je rêvais de devenir dessinateur de bande dessinée. Le dessin est souvent au départ de mon processus de création. Je jette des idées, croque des images qui me passent par la tête. C’est ma façon de trouver en quelque sorte les fondamentaux du spectacle, d’en chercher les volumes à travers un enchevêtrement de ronds, de carrés, de triangles. Ce premier échafaudage sur le papier me permet ensuite d’avancer, d’explorer des directions nouvelles. J’ai toujours le sentiment de redécouvrir mon métier au cours de cette première étape de travail. En création, je prépare chaque soir l’espace sur lequel on va travailler le lendemain. Depuis une dizaine d’années, je commence souvent par un cube à l’intérieur duquel je tire des lignes, délimite des architectures qui me permettent déjà d’imaginer quels seront les premiers rapports entre les personnages. Spontanément, j’ai toujours envie de faire vivre les bords, d’aller voir sur les côtés, en dessous, au-dessus, en bas, ce qui m’a amené à dévoiler les coulisses du spectacle, à passer sous le plateau et à faire de l’aérien. En ayant envie d’habiter tout l’espace, d’en trouver le maximum de richesses visuelles, je finis toujours par déborder du cadre tout simplement.
C’est ce qui se passe effectivement dans nombre de vos pièces. Dans Decodex par exemple où les danseurs sont suspendus tout autour d’un portique en métal, dans Petites Pièces Montées où ils glissent des cintres et jaillissent du plancher, dans Shazam ! aussi. Est-ce qu’en revanche votre façon de bouger a subi l’influence de la bande dessinée ?
D’une certaine façon, ma gestuelle tente toujours de faire exploser les limites du mouvement tel qu’on est plus ou moins habitué à le voir dans une pièce de danse. Tex Avery m’a beaucoup inspiré dans ma recherche de gestes a priori impossibles à réaliser. J’aurais voulu danser comme mes héros de bande dessinée, comme Spirou de Franquin. Impossible évidemment, mais il reste toujours quelque chose de ce désir, une bizarrerie dans le mouvement, quelque chose d’extrême ou de délirant qui permet de lire que l’intention profonde était beaucoup plus frappée que le résultat. Dans Vague Café par exemple, toute la chorégraphie était totalement tordue, déviée en jouant à fond sur l’empêchement, la contrainte, l’opposition. Je me suis d’ailleurs souvent blessé. En voulant lever la jambe par-dessus l’oreille pour retomber en grand écart sec, clac, je ne me suis pas relevé.
Il y a une grande différence entre vos spectacles du début et d’aujourd’hui. Les premiers étaient très chorégraphiés, peu chargés en décors et se déroulaient selon une certaine unité d’action. Depuis dix ans, on voit des pièces composées d’une suite de tableaux, souvent fort nombreux, qui s’articulent selon des lois arbitraires.
Les pièces - Vague Café, Technicolor - ont été écrites d’un bout à l’autre, du début jusqu’à la fin, par ordre chronologique. À raison d’une minute de danse par jour de répétition, j’avançais à mon rythme. Chaque soir, je préparais le travail du lendemain avec dessins à l’appui pour aider les danseurs. Les pas sortaient facilement. J’y apportais peu de retouches une fois que le morceau était installé avec les interprètes. J’avais l’impression d’écrire une langue nouvelle, d’explorer mon vocabulaire, ma syntaxe et de m’amuser avec ça. C’était très neuf, très stimulant. Je ne remettais rien en question puisque tout s’imposait à moi. Aujourd’hui, je fonctionne par fragments en travaillant parallèlement sur tous les aspects du spectacle. Je mets à égalité la recherche des danseurs, celle de la scénographie, des images, de la lumière, de la musique. Il m’est impossible de faire abstraction de l’un ou de l’autre. La musique peut donner une couleur, la lumière provoquer une danse. Du coup, on désacralise la spécialité chorégraphique mais tant pis. Encore faut-il avoir des danseurs qui se prêtent au jeu avec humilité et confiance.
À vous entendre on pense tout de suite à Alwin Nikolais avec lequel vous avez collaboré lorsque vous aviez dix-huit ans et qui a marqué votre démarche d’artiste et votre univers esthétique.
C’est lui qui m’a donné ce goût du spectacle total et l’envie de traiter une pièce comme un tout. Ce qu’il y avait de particulièrement remarquable chez lui, sans compter que c’était un bonhomme en or bien que très pessimiste, c’est qu’il nous inculquait ses principes de création sans aucun dogmatisme. En gros, faites comme moi et puis surtout enfreignez les consignes. L’idée de poser des règles pour ne pas les respecter stimule toujours mon imagination. Mais c’est son travail autour de la lumière qui m’a peut-être le plus marqué. Je me souviens d’une interminable séance de réglage qui a duré plusieurs jours. J’ai compris alors le sens et la puissance de la lumière. On peut donner des lectures très différentes d’une même séquence, toucher le corps de manière intimiste ou distante rien qu’en changeant l’éclairage. On évoque la solitude d’un être en le plaçant dans une atmosphère très blanche. On ajoute deux projecteurs latéraux dorés et il resplendit comme une sculpture. Une minuscule baisse ou augmentation des « potards » peut altérer totalement l’esprit d’une scène. Il existe aussi certains types de lumières qui créent une rémanence, déposant en quelque sorte la trace lumineuse du danseur sur le plateau. Il arrive que dans un spectacle, ce soit la lumière qui donne sa finesse à un tableau, une certaine distance aussi pour lui permettre d’échapper à toute référence connue. Si par exemple, je mets en scène une séquence plutôt rigolote, c’est la façon dont la lumière va l’éclairer ou plutôt la sous-éclairer qui lui permettra peut-être d’échapper au genre show télé. Du coup, le spectateur cherche à voir ce qui se passe et rien n’arrive tout à fait comme prévu.
Vous avez souvent tendance à resserrer la lumière en rond autour d’un danseur comme d’ailleurs, au cirque, où l’on fait converger le regard du spectateur sur un artiste en train d’exécuter une séquence particulièrement dangereuse ou extraordinaire de son numéro.
On oublie l’espace, le monde, pour se focaliser uniquement sur une personne, ou deux ou trois. On perd aussi la notion d’échelle. Le geste, sa dynamique, sont ainsi intensifiés, magnifiés. Avec mes complices bricoleurs de la compagnie, on a d’ailleurs inventé une poursuite
- lumière qui isole les danseurs tout en les éclairant avec précision. Contrairement à d’habitude, elle ne vient pas du fond du théâtre, mais elle tombe des cintres.
La lumière fortifie souvent la dramaturgie de vos spectacles.
Effectivement, elle a une fonction dramaturgique en permettant de glisser d’un moment à l’autre. Comme mes spectacles ne sont pas narratifs, c’est elle qui en assure la continuité. Son écriture est souple, poétique, loin du sens commun. Je trouve généralement le rythme des pièces avec celui de la lumière. J’aime que le spectateur perçoive à peine les changements de lumière mais qu’il s’en trouve doucement transformé. Les gens ne réagissent pas tous ensemble aux graduations des projecteurs et gardent de ce fait une certaine liberté dans leur interprétation.
© Éditions Textuel
Philippe Decouflé par Rosita Boisseau,
168 pages, 224 x 278 mm, couleur, 51 euros
EXTRAORDINAIRE, PAS D'AUTRE MOT
EXTRAORDINAIRE, PAS D'AUTRE MOT
1, Place du Trocadéro 75016 Paris