Don(a) Juan(a)

Paris 13e
du 24 novembre au 17 décembre 2006
1h40

Don(a) Juan(a)

L’acte « Don Juan » au féminin représente à la fois celui de l’émancipation des modèles féminins anciens et celui du scandale qu’il provoque dans une société qui aimerait encore cantonner la femme dans son rôle de mère et d’épouse. En inversant tous les rôles et en ne changeant rien du texte (si ce n’est le passage du masculin au féminin) Don(a) Juan(a) nous fait découvrir une insolence et une incroyable actualité.

L'inversion des rôles
Don(a) Juan(a) d’après Patrick Verschueren
Note d’intention du metteur en scène
Don(a) Juan(a) d’après Marcela Iacub
Don(a) Juan(a) d’après Marie Nimier

  • L'inversion des rôles

L’acte « Don Juan » au féminin représente à la fois celui de l’émancipation des modèles féminins anciens et celui du scandale qu’il provoque dans une société qui aimerait encore cantonner la femme dans son rôle de mère et d’épouse. En inversant tous les rôles et en ne changeant rien du texte (si ce n’est le passage du masculin au féminin) Don(a) Juan(a) nous fait découvrir une insolence et une incroyable actualité.

La Compagnie Ephéméride.

  • Don(a) Juan(a) d’après Patrick Verschueren

Après le mythe de Faust, il fallait bien s’attaquer à l’autre grand mythe Européen, plus latin cette fois, celui de Don Juan. Fabuleuse pièce de Molière, qui n’a en rien perdu de son actualité quant à « l’hypocrisie qui est un vice à la mode », elle pêche en revanche par la banalisation de son héros : quoi de plus ordinaire aujourd’hui qu’un Don Juan masculin, c’est
même le b-a ba, le minimum réel ou fantasmé de tout homme en âge de courir.

Mais dès qu’on imagine une femme dans ce rôle, tout le ressort de la pièce se retend. Toutes les situations se durcissent, nous dévoilant un nouveau danger et une véritable audace. Car une femme Don Juan peut à la fois se révéler d’une efficacité redoutable (l’homme est peu enclin à la résistance), tout en s’exposant à des représailles d’autant plus dangereuses qu’elles sont réelles.

L’acte « Don Juan » au féminin représente à la fois celui de l’émancipation des modèles féminins anciens et celui du scandale qu’il provoque dans une société qui aimerait encore cantonner la femme dans son rôle de mère et d’épouse. Il est d’autant plus actuel qu’il renvoie à une femme qui peut faire un libre usage de son corps (ce qui était avant la contraception une chose tout à fait impossible) et qui possède les moyens réels de son émancipation (autant financiers qu’intellectuels).

Ainsi, en inversant tous les rôles et en ne changeant rien du texte (si ce n’est le passage du masculin au féminin), on y découvre une insolence et une incroyable actualité. Le Don Juan joué par une femme retrouve l’impertinence et la démesure du Don Juan masculin de Molière, qui sitôt sa création fut remanié dès le lendemain avant d’être définitivement retiré de l’affiche.

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  • Note d’intention du metteur en scène

Quand je pense à Don Juan aujourd’hui, j’imagine une femme. Non pas une beauté adolescente comme dans les fantasmes de Goethe, Lorca ou Boulgakov. Pas non plus la beauté étalonnée par les faiseurs de mode.

Non. Une femme mûre, dont le visage habitée porte une beauté qui défie le temps, un caractère qui a su résister à de nombreux combats sans jamais s’éteindre, au contraire. Une femme qui a connu assez d’hommes pour ne plus sombrer dans l’illusion de l’amour romantique. Une femme dont le désir inextinguible peut encore les posséder tous sans pour autant être jamais comblée.

Autour d’elle, je vois un espace nu. Peut-être un sol brillant comme de l’eau. Je pense à Venise, bien sûr. Venise, Venezia, Venus. Le personnage de Casanova, les jeux de masque et d’intrigues, le jeu toujours. Le plaisir du jeu dans une lumière en clair-obscur. Confusion des sexes et des sentiments éclairée par torches, bougies, lanternes, candélabres… par tout ce qui brûle en fait, dans des ombres mouvantes et vacillantes, fulgurantes parfois.

Ici, les corps se cherchent, attirés comme des aimants, pour des pas de deux érotiques et dangereux. Car je vois la danse, aussi. Comme un rituel qui éveille sans cesse le désir et le pousse plus loin. Une danse qui nous emmène au bord du précipice.

Pour la musique? Je pense à Mozart, ce grand enchanteur de l’Europe, non pour son Don Giovanni mais pour ses petites musiques de nuit : fluides, légères, et nous échappant sans cesse: mystère et volupté.

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  • Don(a) Juan(a) d’après Marcela Iacub*

Inverser le genre des personnages de Don Juan selon un protocole implacable et sans introduire aucune autre modification au texte, n’est-ce qu’un caprice, qu’une coquetterie de Patrick Verschueren, ou une démarche qui s’inscrit dans notre temps avec une rigueur à laquelle l’homme de théâtre, ici, ne fait que trouver une forme ? Un peu de réflexion nous convainc de trancher pour la deuxième option.

Laboratoire de la mise à l’épreuve de la substituabilité des rôles sexués de notre modernité, de cette modernité dont on se félicite tant, cet exercice éveille une curiosité aussi bien esthétique que politique. Mais avant tout, quelques questions dérangeantes.

Une société comme la nôtre sera-t-elle vraiment capable de supporter cette curieuse initiative ? Pourra-t-elle y trouver autre chose qu’une bizarrerie, qu’un pastiche, qu’un jeu cocasse, une nouvelle occasion de se réjouir, par contraste et presque par dérision, de l’existence rassurante des rôles sexués des hommes et des femmes ? Car il est des rires qui confirment le monde : un peu comme une démonstration par l’absurde, certains spectacles comiques se contentent de liquider la possibilité même de ce qu’ils représentent. Gageons que ce n’est pas l’intention de Patrick Verschueren.

D’où la question : la pièce ainsi travestie peut-elle devenir pour les spectateurs non pas un jeu d’inversion rassurant, mais une « inquiétante subversion » comme Freud parlait d’inquiétante étrangeté, mettant en évidence le plus étrange au sein du plus familier ? On pourra, on devrait, tarder à être convaincu. On serait tenté, on ne manquera pas, de rétorquer :

« Mais de quoi parlez vous au juste ? Croyez-vous vraiment que les femmes sont encore ce qu’elles étaient aux temps de Molière, des purs objets d’échange ? Les femmes n’ont-elles pas, depuis, obtenu le droit de vote, la maîtrise du patrimoine, la pilule, la contraception, l’avortement ?... Les femmes sont-elles encore chargées de garder la vertu ? Notre société attache-t-elle encore le moindre stigmate à leur sexualité libre et épanouie ? Qu’est-ce qui vous fait donc croire qu’une Dona Juana aurait la moindre puissance de subversion, comme si elle nous obligeait à voir ce que nous ne voudrions pas même concevoir, tout comme Molière, avec son libertin magnifique, forçait son époque à voir vivre l’Ennemi, fût-ce comme
personnage de fiction ? »

Précisément. Ce qu’on peut attendre de cet exercice d’inversion des sexes dans Don Juan, c’est, entre autres choses, qu’il nous révèle combien ces présupposés sont faux. Partons du plus simple. Peut-on penser un tel personnage.

Et commençons, puisqu’il est question d’un texte, par les mots : disposons-nous d’un mot qui pourrait s’appliquer à un Don
Juan féminin ? Don Juan est un type, et pas seulement un personnage, et même un type émoussé comme une vieille pièce de monnaie qui a trop longtemps servi. Un Don Juan féminin passe-t-il l’épreuve du passage du nom propre au nom commun : un Don Juan ? « Femme fatale » ? Mais fatale, la femme fatale ne l’est pas, précisément, pour elle-même : elle
est celle par qui se boucle le destin d’un homme, non pas celle qui se fabrique elle-même sa destinée.

Elle déjoue la place de la victime, de la femme « séduite », mais ce n’est que pour s’approprier la puissance masculine, pour rien n’en faire d’ailleurs, pour la retourner, seulement, contre elle-même. Le centre de la vie d’une femme fatale, ce n’est pas elle-même, ce sont les hommes dont elle consomme précisément l’énergie subjective. Il semble toujours tout aussi difficile de penser une femme qui construirait sa trajectoire propre à travers ses conquêtes et uniquement pour le plaisir de ce qu’on pourrait appeler la déliaison.

Car c’est bien cela qui caractérise Don Juan, et ce en quoi il apparaissait aussi subversif pour les contemporains de Molière. Homme étranger aux règles de l’alliance, il ne se sentait pas tenu par ses promesses et arrachait le commerce sexuel aux règles du mariage.

Par là même, il affirmait les droits de vivre comme individu, de suivre sa loi propre, n’admettant comme critère que son propre esprit, ses propres sens, qui lui disaient ce qu’il pouvait comprendre, toucher, calculer (comme tout « esprit fort »), il faisait de l’espace de sa vie le terrain de ses jouissances, un espace à consommer et à occuper librement, sans qu’un horizon temporel plus lointain que la mort la soumette à des exigences transcendantes, puisqu’il renonçait autant à la reproduction biologique qu’à la vie après la mort.

Pourquoi une telle figure subversive ne peut-elle être aujourd’hui que féminine ? C’est qu’en dépit des transformations récentes dans le statut des femmes, l’exigence que leur activité sexuelle est fondamentalement engagée dans des échanges affectifs et familiaux n’a jamais été modifié.

Maintenant que le mariage n’est plus le socle sur lequel se construisent les familles, qu’on peut divorcer, se remarier, faire des enfants hors ou dans le mariage, se Pacser même et bien d’autres combinaisons encore, on a tendance à reporter sur les mères le soin de conserver un principe fixe decontinuité familiale.

C’est autour des mères que, espère-t-on, les familles trouveront un axe. Autour d’elles, les pères circuleront, les enfants s’agrègeront. La sexualité même des femmes ne semble pas pouvoir être facilement séparée de l’affectivité, de la sentimentalité. C’est ainsi que la prostitution, par exemple, précisément parce qu’elle est une activité trop intéressée pour être engageante, ne semble pas pouvoir être conçue comme une liberté des femmes.

Certes on ne dira pas de celles qui se trouvent dans cette situation qu’elles sont coupables. On les dira victimes, acculées, égarées, plus ou moins consciemment manipulées par la structure machiste de la société.

L’idée même d’une femme qui librement traite son corps comme le lieu sans espoir d’une série de jouissances immédiates paraît insensé. Dona Juana m’apparaît alors comme une anti-femme, un être qui délie ce qui est censé être lié, qui désacralise et bafoue la rationalité éthique attaché à notre sexe, avec le risque inquiétant que cela comporte pour la société toute entière.

Car si ce ne sont pas les femmes qui se chargent d’ordonner les comportements sexuels et amoureux sous le signe de l’alliance et de la reproduction, de civiliser les pulsions masculines, qui le fera désormais ?

Voilà pourquoi, afin de produire le même effet que produisit Don Juan lorsqu’il fut représenté, le même scandale, il n’est pas seulement ingénieux, mais indispensable que ce soit une femme qui joue ce rôle. Don Juan se moquait de la sacralité du mariage, institution qui avait dans ces temps passés la fonction de produire l’ordre de l’alliance et de la reproduction, le même ordre qui est assuré de nos jours par la « mentalité féminine ». Don Juan prend, Don Juan donne : il ne se sent pas obligé. De nécessité, il ne connaît qu’arithmétique, pas morale, pas affective, pas sentimentale.

Dona Juana, bien comprise, est l’irreprésentable féminin. C’est pourquoi il faut qu’elle soit représentée. Telle est donc l’entreprise à la fois paradoxale et rigoureuse dans laquelle Patrick Verschueren s’est engagé : pour que le Don Juan de Molière soit lui-même, il doit devenir femme. Et qui sait ? Peut-être grâce à cette pièce le mot « Dona Juana » et ce qu’il évoque, finira par avoir, dans notre langue, droit de cité. Elle sera la première des Donas Juanas.

*Marcela Iacub est spécialiste de l'histoire juridique du corps. Elle a travaillé sur les manières de normer le corps et sur les implications non seulement juridiques et politiques mais aussi en termes de construction de l'identité de ces systèmes de normes. Elle a abordé de très nombreux sujets parmi lesquels les questions liés à la bioéthique (clonage, procréation médicalement assistée), à la prostitution, au féminisme, et de manière générale aux identités sexuelles.

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  • Don(a) Juan(a) d’après Marie Nimier*

Je me méfie des bonnes idées. Elles vous éblouissent. Vous enlèvent toute faculté de discernement. Elles sont là, luisantes d’intelligence. Elles caracolent, peaux de bananes de l’esprit, et donnent envie de dire : et alors ?

Les bonnes idées, comme les bons sentiments, n’ont jamais fait un bon spectacle. Elles sont, au mieux, un point de départ auquel l’esprit inquiet se raccroche. Féminiser le personnage de Don Juan - en faire une séductrice, une mangeuse d’hommes, une femme avide de pouvoir - est le type même de la bonne idée qui m’agace, comme on dit d’un fruit vert qu’il agace les dents. Là où le projet commence à prendre corps, dans toute sa complexité, c’est quand les autres personnages basculent eux aussi dans une identité contraire.

Première constatation (il suffit d’une lecture à voix haute pour s’en persuader) : « ça » marche.

Deuxième découverte : celle d’un Don Juan « pour la première fois ». On pensait le connaître sous toutes les coutures : on redécouvre la pièce avec un appétit nouveau. C’est drôle. C’est grinçant. Cette femme, à l’affût de jouissances nouvelles, réveille le texte lui-même. Elle le secoue.

L’inversion des genres prend toute son ampleur dans la nouvelle construction du couple que Dona Juana forme avec sa fidèle Sganarella. Complicité amoureuse ? Oui, voilà ce que la féminisation nous raconte : ces deux là parlent le même langage, et leurs positions de maîtresse femme et d’esclave accomplie et complice donnent à la pièce une couleur sulfureuse, avant même que ne se mette en marche la collection des séductions.

On pense aux couples féminins de ces dernières années, au cinéma, couples embarqués dans des aventures qui les dépassent., fuyant un monde dont elles ne
veulent plus, ou prenant leur vengeance.

Reste le hic, la bête noire de ce passage du masculin au féminin : ce commandeur que Dona Juana a tué, et qui « revient » à la fin de la pièce. Comment accepter l’idée de la mort du commandeur, et par là même, faire de cette femme une meurtrière ? Ce qui de la main d’un homme, suivant les codes d’un honneur très bien intégré aux codes théâtraux, passait comme une lettre à la poste, devient caricatural et peu crédible pour un personnage féminin.

Après avoir passé en revue plusieurs interprétations possibles (Le commandeur est une sirène, le commandeur est le choeur des hommes séduits et abandonnés, le commandeur est une idée, un mot, une image) m’est revenu à l’esprit le souvenir terrible de ce jeune garçon qui, devant le mur de mon lycée, s’était immolé pour l’amour d’une de mes camarades de classe.

Il avait brûlé avec son scooter, sans que personne ne puisse éteindre le feu de son irréductible passion. « Du feu », m’avait dit Patrick Verschueren lorsqu’il m’avait présenté le projet. J’imagine du feu sur scène, des bougies, des éclairs…

*Après une dizaine d’année de théâtre et de musique, Marie Nimier a écrit une dizaine de romans tous publiés chez Gallimard : Sirène en 1985 (couronné par l'Académie française et la Société des Gens de Lettres), puis La girafe, anatomie d'un choeur, L'hypnotisme à la portée de tous (porté à l’écran par Irène Jouannet sous le titre Dormez je le veux), La caresse, Celui qui court derrière l'oiseau, Domino (prix Printemps du roman), La nouvelle pornographie et La Reine du silence, Prix Médicis 2005.

Elle écrit également des livres pour enfants, du théâtre et des chansons pour Jean Guidoni, Juliette Gréco, Artmengo, Clarika, Enzo Enzo, Lokua Kanza, Eddy Mitchell… Son dernier livre publié chez Gallimard (novembre 2005) est un recueil de textes écrits pour la danse.

La plupart de ces textes ont donné naissance au spectacle À quoi tu penses ? , chorégraphie Dominique Boivin (programmé au CND en décembre 2005, puis en tournée, puis à Chaillot en février 2007).

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Spectacle terminé depuis le dimanche 17 décembre 2006

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