Il y a dix ans, Allan a quitté son salon de coiffure pour jouer le rôle de Figaro dans un spectacle professionnel. Aujourd’hui, Allan est acteur… Il devient sous nos yeux le metteur en scène et les acteurs de l’époque : une drôle de troupe un peu dingue et pleine de contradictions.
Comment partager avec le spectateur un questionnement sur la liberté, lui proposer une réflexion qui soit à la hauteur du sujet sans pour autant provoquer chez lui l’endormissement qui menace chacun d’entre nous à la lecture d’un livre de science politique après une journée bien remplie ? Notre humour d’artiste est un bon moyen d’éviter cet endormissement. Mais si le rire aide à rendre le propos plus digeste, il arrive bien souvent qu’il le dilue, l’édulcore.
Notre intention veut trouver sa place entre le pensum convenu pour public conquis par avance et la farce facile. Choisir la figure de Figaro pour parler de la liberté , c’est une façon de mettre le rire de notre côté et même de pouvoir en abuser sans crainte. Le rire que provoque le personnage de Figaro est un bidon d’acide politique concentré, c’est le catalyseur d’un questionnement violent et inconscient sur la liberté . Cela tient à la position sociale du personnage.
Figaro est contraint. Son espace de liberté est mince. Il devient alors acteur, imitateur, il nous fait rire pour essayer de gagner quelques centimètres d’une liberté de mouvement ou d’expression qui lui a été refusée. Y parvient-il ? Pour ce qui est du Figaro du XVIIIe siècle prérévolutionnaire de Beaumarchais, il semble que ce soit le cas ; dans les années 30, quand Horvath se saisit du personnage de Figaro en pleine montée du nazisme, un rire nouveau, plus sombre, vient nous mettre en garde contre le rire bourgeois du siècle des Lumières, devenu dangereusement insuffisant.
Et aujourd’hui qu’en est-il ? Le rire peut-il encore combattre quelque chose ? Il nous semble que oui. Mais c’est comme l’amour chez Rimbauld, le rire est à réinventer. À chaque époque, son rire de résistance. Pour écrire notre Figaro d’aujourd’hui, nous avons fait dialoguer le passé et le présent dans un seul en scène pour chercher un rire qui tente d’embrasser le plus de questions possibles d’aujourd’hui.
Notre Figaro à nous s’appelle Allan. Il y a 10 ans, il a quitté son salon de coiffure pour devenir acteur et jouer le rôle de Figaro dans un spectacle pro. Aujourd’hui, il est comédien et raconte. Il devient alors sous nos yeux le metteur en scène et les acteurs de l’époque pour nous dire la cruelle drôlerie d’une création théâtrale chaotique. Il nous fait rire en faisant de nous les témoins à la fois amusés et soucieux de sa quête de liberté bâillonnée.
Pour écrire notre Figaro, nous avons voulu nous imprégner de ce que cette figure incontournable a charrié au fil des siècles. Nous nous sommes nourris d’une littérature dense et incontournable, l’œuvre de Horvath, la trilogie de Beaumarchais, les écrits politiques de Camus, et tant d’autres. De là est né le personnage d’Allan, un acteur d’aujourd’hui qui cherche, tâtonne, hurle et rit. Nous avons aussi voulu traverser la réalité du métier d’artiste avec décalage et légèreté, sans nous prendre au sérieux, pour en faire une métaphore incisive et drôle de l’existence. Dans Le Barbier de Séville , Beaumarchais fait dire à Figaro : « Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer ».
La singularité de Figaro n’est pas enfermée dans sa solitude. Elle vient au contraire du fait qu’en lui, nous sommes très nombreux. Nos vies manquent parfois cruellement d’humour, Figaro nous invite à porter avec lui son cri de résistance.
53, rue Notre Dame des Champs 75006 Paris