De sable, il en est question dès le début, quand à l’âge de huit ans elle entreprend avec une infinie patience d’en peindre chaque grain sur une page blanche, l’un à côté de l’autre, avec des nuances très légères de jaune, d’ocre et de brun, pour une faire une plage - son paradis à elle - sur laquelle elle rêve de s’étendre pour oublier les petits bonheurs contrariés de l’enfance.
Elle veut être peintre. Plus tard, cet espace vide qu’il faut remplir, conquérir, habiter, sera un plateau de théâtre - son utopie à elle - sur lequel elle édifiera, parmi bien d’autres, le château de sable de la vaillante Catherine de Heilbronn de Kleist. Elle est devenue actrice, metteur en scène. Puis survient le grain de sable - un seul suffit -, qui bouleverse brutalement l’ordre des choses : la maladie, qui entrave le corps et exerce son emprise tyrannique sur toute autre forme de réalité.
Dès lors, la vie cesse d’être une promesse pour devenir une douloureuse interrogation sur le sens - l’intérêt, l’utilité - de chaque acte, une épreuve obligée, sans trêve, sans autre enjeu que celui de faire durer ce qui fait mal et détruit. Il faut tout tenter, bien sûr, endurer les remèdes pires que le mal, se confronter à une médecine dont il vaut mieux rire que pleurer, attendre un SAMU dont la venue est plus incertaine que celle du messie ou de Godot, apprendre à ne pas s’apitoyer sur soi, à lutter contre soi-même, bref, faire de son existence toute une histoire, une épopée amère, mais de laquelle la drôlerie n’est pas absente.
Et surtout, il importe de rester vivant, de refuser le hors jeu, de revenir dans le jeu, c’est-à-dire à la page blanche de l’enfance pour s’y peindre soi-même avec ce foutu grain de sable, afin de le tenir à distance, se jouer de lui et en déjouer les maléfices, puis de remonter sur la scène vide et en faire une arène, l’aire sablée d’un corps à corps farouche et sans complaisance avec soi-même, un lieu de tension entre la vie et le théâtre.
De ce portrait fragile et sensible de l’artiste par elle-même, Isabelle Janier a fait un lumineux défi à la fatalité, un hymne à la fois poignant et drôle à l’élan vital.
La comédie, c’est fini ? Non !
Moins comédienne, aujourd’hui ?!
Non !
Alors maintenant, ça serait remonter sur scène ?
Sur la scène ?
Oh là, là ?!
J’ai « rêvé » m’enfermer chez moi, et ne plus sortir.
Qui m’attend dehors ?
J’ai des pensées comme ça.
Je suis en prison. Incarcérée.
Je vais faire le contraire.
Exactement le contraire.
Trouver des complices, m’évader.
Être à l’air libre.
Sortir.
Je vais m’exposer, me montrer, arriver sur scène.
Isabelle Janier
10, place Charles Dullin 75018 Paris