Dans les sous-sols de l’Atalante, se joue, sous le regard croisé des spectateurs du théâtre, une tragédie du regard. Agathe Alexis place ses personnages au centre d’un dispositif qui les cerne, pour ne leur laisser aucune échappatoire, comme pour traquer le sens de leurs paroles, faire jaillir la polysémie du texte de Sartre, aller au fond du débat – une façon de les acculer. Et nous voilà partie prenante, témoins et forcément juges, impliqués dans la machine sartrienne.
Dans cet univers sans miroir, l’introspection est impossible. Seul importe alors l’insoutenable et indispensable regard de l’autre. Les visages désormais sans paupière, sans sommeil, ne peuvent plus se mirer que dans l’oeil pourtant inquisiteur du voisin ; seul, peut-être, à être capable de les construire, de leur donner sens. Dans ce lieu clos, sans soleil et sans ombre, la solitude est impossible. La responsabilité sans appel est le prix de notre liberté et les plus ou moins bonnes intentions ne font rien à l’affaire.
L’auteur s’amuse à mettre en scène un dérisoire triangle vaudevillesque ; il épingle ainsi l’étroitesse de nos préoccupations, et nous signifie la théâtralité de notre situation au monde. Devant cet improbable ménage à trois, c’est à un effacement de l’être que nous assistons.
Comme on voit ici les protagonistes se tendre vers les paroles échappées du monde, être à l’affût d’une quelconque évocation de leur personne, nous savons tous qu’on reste dans le souvenir ou les mots des vivants. Mais la mémoire est oublieuse et la parole se fait rare.
Qui sommes-nous quand il n’ y a plus personne pour nous penser ? Peut-être cet homme imaginé par Borges qui, après avoir tant cherché à échapper au feu et à la mort, comprend avec terreur lorsqu’il est enfin léché par les flammes qu’il n’est qu’un simulacre, le produit du rêve d’un autre…
« Agathe Alexis est impériale (...) Ainsi jouée, la pièce de Sartre est continuellement vivante ; chaque mot est habité. » Télérama TT
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