Hommes objets, hommes sujets, hommes tout court (ce qui est déjà beaucoup), avec faiblesses mais pas sans force, avec pudeur mais pas sans appétits. Un moment tour à tour sexy et drôle, viril et désabusé, et un spectacle qui fait du bien parce qu’il fait aimer les mâles.
Comment les danseurs deviennent-ils des chorégraphes ? A quel moment être interprète ne suffit-il plus ? Hyoseung Ye aurait pu suivre des lignes droites et fermement tracées : formé tout d’abord à la gymnastique, il étudie la danse traditionnelle coréenne et le ballet classique à l’université Kyung Hee, puis, à l’âge de 25 ans, il intègre la Seoul Contemporary Dance Company. Première bifurcation : un projet mené par Carolyn Carlson le conduit en France, où il poursuit une formation en danse contemporaine. Mais c’est en Belgique, auprès d’Alain Platel et au sein des Ballets C de la B, qu’il va explorer, pendant huit ans, de nouvelles voies. On se doit au passage de rendre ici un bref hommage à cette compagnie ouverte aux individualités et aux instants, mélange de fantaisie et de rigueur, et, partant, formidable incubateur de chorégraphes.
« Je crois qu’on était à Vienne, raconte Alain Platel, et il y avait une fête. Le lendemain, des danseurs m’ont dit : « Ah c’est dommage que tu ne sois pas venu, parce que tu aurais dû voir Hyoseung, on ne l’a jamais vu danser comme ça, c’était incroyable… » Hyoseung dansait dans Out of context et je lui ai demandé d’utiliser ces mouvements, de faire une improvisation autour de ça, de ce qu’il avait vécu à cette fête. Cela m’intéressait. Les autres danseurs et lui m’ont dit : «Écoute, à 11 heures du matin sans avoir bu une bière, ça va être difficile.» Mais on l’a fait quand même. »
Reste que, pour un danseur, le sol n’est pas un vain mot, et Hyoseung Ye avait besoin du sien. Tout en continuant son travail avec les Ballets C de la B, il décide en 2011 de retourner vivre dans son pays. Il y chorégraphie tout d’abord des solos introspectifs, puis I’m so tired, une pièce pour cinq danseurs, trois musiciens et un comédien. Enfin, en mars 2014, il est appelé pour chorégraphier une partie de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Sotchi.
En juin 2013, Hyoseung Ye avait invité à Séoul quatre copains de chez Platel et s’était enfermé avec eux dans un studio pendant un mois. Dans cette pièce en était née une autre : N(own)ow, que Hyoseung Ye reprend ici avec de nouveaux danseurs. Une pièce qui, sans l’avoir cherché, tombe à pic car elle trouve des façons inédites pour aborder un sujet qui en fâche certains… et en réjouit d’autres.
Jamais autant que cette année, semble-t-il, on ne nous aura parlé du genre. Qu’est-ce que le féminin, le masculin, qu’est-ce que l’un dans l’autre et le contraire ? Loin de toutes théories, le chorégraphe Hyoseung Ye, lui, regarde ce qui se passe quand on met cinq hommes dans une pièce.
Donc voilà, c’est cinq mecs. Cinq mâles, cinq pékins de Séoul. Et puis, très vite, évidemment, c’est beaucoup plus que ça et autre chose : les coups de force deviennent des coups de blues, la virilité s’affirme pour mieux devenir aveu de faiblesse ou parade dérisoire, la pudeur laisse place à une sensualité haletante. Et puis cinq types en deviennent un seul, deviennent un même mouvement, celui de tout être et de toute chose, vers la chaleur, la lumière, vers la possibilité d’une nourriture. Ou d’une rencontre.
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