Il est étonnant de constater que le mouvement de diffusion dans l’espace public de la musique de chambre pour cordes, amorcé par Pierre Baillot à la fin de l’Empire et repris par de nombreuses sociétés sous la monarchie de Juillet, n’a connu que tardivement un prolongement dans le domaine de la musique pour vents. La première réunion de ce type apparaît à Paris en 1869 : la Société des quintettes harmoniques, fondée par l’organiste Adolphe Populus. C’est un répertoire déjà ancien qui est alors mis en lumière : les quintettes de Reicha (1817-1820) et d’Onslow (1854) pour flûte, hautbois, clarinette, cor et basson en forment l’essentiel.
Ce répertoire presque classique connaît quelque élargissement dans le dernier tiers du siècle : les quintettes d’Adolphe Blanc (vers 1870), de Taffanel (1878) ou de Gabriel Pierné (1886) viennent ainsi renouveler l’écriture d’un genre qui bénéficie aussi – comme la musique de chambre pour cordes – de l’apport du piano (Magnard, Quintette avec piano, 1895). Alors que les oeuvres pour effectifs restreints se placent sous le signe de la rareté, un répertoire pour grands ensembles à vent voit également le jour dans les catalogues de Blanc, Gouvy et Lalo autour de 1870. Et, depuis les années 1830, quelques grandes pièces isolées et aux nomenclatures chaque fois différentes, du quatuor au dixtuor, mêlent cordes, vents et clavier sous la plume d’Onslow, Dubois, Saint-Saëns, d’Indy, etc.
Au programme :
Albéric Magnard : Quintette pour piano et vents
Ludwig van Beethoven : Quintette pour hautbois, clarinette, cor, basson et piano en mi bémol majeur, op. 16
Ludwig van Beethoven : Quintette pour hautbois, clarinette, cor, basson et piano en mi bémol majeur op. 16
Pendant la décennie qui suivit son installation à Vienne (1792), Beethoven composa plusieurs partitions de chambre pour des effectifs rares à l’époque : Sextuor pour quatuor à cordes et deux cors op. 81b (ca. 1795), Quintette pour vents et piano op. 16 (1796), Trio pour piano, clarinette et violoncelle op. 11 (1797), Sonate pour cor et piano op. 17 (1800), Sonate pour flûte, violon et alto op. 25 (1801). Dédié au prince Joseph Johann zu Schwarzenberg, le Quintette pour vents et piano fut créé le 6 avril 1797 lors d’un concert organisé par Ignaz Schuppanzigh, puis édité en 1801 (en même temps qu’une adaptation pour quatuor à cordes et piano).
Il possède toutefois un prédécesseur célèbre, puisque Mozart avait composé une oeuvre pour la même formation en 1784, déjà dans la tonalité de mi bémol majeur. Beethoven recueille l’héritage mozartien, comme en témoignent l’élégance mélodique et la clarté des textures de son propre quintette. En outre, il fonde l’Andante cantabile sur l’air « Batti batti, o bel Masetto », chanté par Zerlina dans Don Giovanni. Il poursuit son assimilation du style classique viennois, tant dans l’écriture que dans les structures : forme sonate précédée d’une introduction majestueuse pour le premier mouvement, variations ornementales dans l’Andante, rondo enjoué pour conclure. Si les instruments à vent sont dotés de beaux solos, notamment dans le mouvement lent, le piano occupe une place de premier plan. Ries relate d’ailleurs une exécution du finale où Beethoven se mit à improviser, provoquant la fureur de ses partenaires.
Albéric Magnard : Quintette pour flûte, hautbois, clarinette, basson et piano op. 8
Assez curieusement, Magnard a composé ce quintette – sa première partition de musique de chambre – alors qu’il était déjà l’auteur de deux symphonies et d’un opéra. Peu commun, le choix du quintette pour vents et piano peut étonner, surtout chez un compositeur ayant de fortes affinités avec l’esthétique germanique. Écrite en 1894, l’oeuvre est créée à Bruxelles le 3 avril 1895, et dédiée à Octave Maus, animateur de la vie artistique belge.
Du fait de son effectif peut-être, ce quintette se présente sous les atours de la sérénade. Mais d’une sérénade robuste et passionnée, comme toute la musique de Magnard, au discours riche, constamment renouvelé et empreint d’infinies nuances. Le Sombre, que l’auditeur semble prendre en cours, s’ouvre avec un thème déclamé aux vents. C’est une page impressionnante, entre véhémence, subtilité des couleurs et sérieux de la construction (son développement contient même un passage fugué). Dans une atmosphère émue, le Tendre fait résonner un choral au piano, sur lequel se greffe un chant de clarinette. La section centrale est formée d’un curieux récitatif du clavier ; au sein d’une texture étoffée, les accords et le chant initiaux reparaissent. Le Léger frappe par sa fraîcheur et son animation rythmique. En son centre, un solo de hautbois épanche des sonorités quasi-orientales tandis que le piano trépigne. La section initiale est redonnée, enrichie. C’est enfin le Joyeux, profus en mélodies et en épisodes contrastés, aussi vaste que le premier mouvement. En son terme, les thèmes du Tendre resurgissent, de même que le tout premier motif de la partition.
Pour la deuxième année consécutive, le Palazzetto Bru Zane prend ses quartiers d’été au Théâtre des Bouffes du Nord, pour une plongée dans la musique française du dix-neuvième siècle et du début du vingtième siècle, dont la diffusion est au cœur du projet du Centre vénitien. En grande partie méconnu, ce répertoire constitue le terreau fertile et foisonnant sur lequel pourront éclore les chefs-d’œuvre impérissables de Franck, Debussy ou Ravel… Après le piano l’an passé, c’est sur la musique de chambre que le coup de projecteur est donné cette année. Grand spécialiste du sujet, c’est le Quatuor Mosaïques qui ouvrira le bal, avec le provençal Félicien David, qu’il a largement contribué à exhumer depuis quelques d’années, le français Louis-Emmanuel Jadin et le tchéco-parisien Anton Reicha. Le Trio Wanderer prendra la relève, avec un vaste panorama du trio français de Saint-Saëns (Trio op. 18, 1864) à Pierné (Trio, 1922), en passant par Ravel (Trio, 1914… De même, le Quintette pour piano et vent du très franckiste Albéric Magnard répondra à celui, op. 16, du grand Beethoven lors du concert que donnera la fine fleur des vents français — Philippe Bernold (flûte), Olivier Doise (hautbois), Philippe Berrod (clarinette), Julien Hardy (basson) et Hervé Joulain (cor) —, avec Jean-Efflam Bavouzet au piano.
Ce festival est l’occasion idéale de revenir sur les prestigieuses écoles françaises (ou, plus justement, franco-belges) du violon et du violoncelle, écoles qui ont largement dominé leur époque, et qui, aujourd’hui encore, sont les plus largement enseignées.
Rappelons par exemple que c’est un violoncelliste belge, Auguste Adrien Servais, qui a introduit la pique dans les années 1830, et que c’est le virtuose française Auguste Franchomme qui en a popularisé l’usage. Aujourd’hui encore, la scène française du violoncelle compte dans ses rangs les meilleurs éléments, dont font indéniablement partie François Salque, Xavier Phillips — et nul doute qu’ils seront bientôt rejoints par la jeune Honorine Schaeffer… Quant à l’école franco-belge du violon, elle nous a laissé, à la suite de la fameuse Sonate de Franck, quelques pages d’anthologie, dont Nicolas Dautricourt et Dana Ciocarlie interprèteront un florilège. Un programme hautement « poétique » puisque la mode était alors aux Poèmes : ceux de Chausson, Canteloube ou Ysaÿe
En guise de bouquet final, le Palazzetto Bru Zane invite les solistes du Cercle de l’Harmonieet six chanteurs français de la jeune génération, pour une représentation exceptionnelle du Saphir — opéra comique composé par Félicien David en 1865, d’après la comédie Tout est bien qui finit bien de Shakespeare.
37 bis, bd de la Chapelle 75010 Paris