Le gitan est ce qu'il y a de plus élevé, de plus profond, de plus aristocratique dans mon pays, de plus représentatif de sa manière et ce qui conserve la braise, le sang et l'alphabet de la vérité andalouse et universelle.
Mais le duende… Où est le duende ? À travers l’arche vide souffle un vent spirituel qui balaie avec insistance les têtes des morts, en quête de nouveaux paysages et d’accents inouïs ; un vent qui fleure la salive d’enfant, l’herbe broyé et le voile de Méduse, et qui annonce le perpétuel baptême des choses fraichement créées.
Federico García Lorca
« Il faut encore avoir du chaos en soi pour pouvoir enfanter une étoile qui danse. » Nietzsche
Jeu et théorie du duende de Federico García Lorca n’a pratiquement jamais été mis en scène.
En vérité, ce texte très inspiré est une conférence que Lorca a donnée dans les années 1933-1934 à la Havane, à Buenos Aires et à Montevideo. Lorca y aborde cette spécificité de l’Espagne et notamment de sa terre natale, l’Andalousie : le duende. Le terme est difficilement traduisible : inspiration, don génie... Lorca le rattache aux grands artistes espagnols -peintre, toréadors, musiciens chanteurs et chanteurs gitans. Mais le duende outrepasse la notion de territoire, de temps : c’est l’esprit-même, dans sa manifestation active, visible, c’est son incarnation dans un corps. Federico García Lorca témoigne de cette valeur humaine essentielle que nos sociétés contemporaines, matérialistes ont mise à mal. Je pense que le duende est une question pleinement actuelle et profondément politique. En assassinant Lorca, les franquistes ont voulu tuer le duende, ces forces de l’esprit, de la terre que l’Espagne républicaine a tenté de défendre jusqu’au bout contre la barbarie totalitaire et malgré les lâchetés des démocraties occidentales.
Nous souffrons encore aujourd’hui, de cet affaissement et nous ne cessons d’observer combien le duende, cette force propre à la conscience humaine, est niée par le pouvoir de l’argent-roi qui tue l’imaginaire. Les Gitans, qui survivent difficilement dans nos sociétés, qui les traversent, sont peut-être les rares détenteurs, encore, du duende avec leurs usages nomades, leur philosophie de l’éphémère et de la dépense, leur refus des possessions.
Dans mon adaptation et ma mise en scène, j’ai voulu ressusciter l’assassinat politique de Lorca par la garde civile espagnole - symbole de cette mise à mort de l’esprit - et du même coup rendre hommage au peuple tsigane, aux poétes encore debout, à la puissance et à l’éternité de l’imaginaire. Plus que jamais, nous avons besoin du duende comme chaleur, comme présence humaine, comme force d’échange, de partage. L’art doit reprendre toute sa place dans nos sociétés, non pas comme une distraction, un accessoire, sec, mais comme un fondement sans quoi l’humain se tarit.
Si j’ai choisi Mireille Perrier pour interpréter ce texte de Lorca, c’est parce qu’elle porte en elle un engagement total. Sa flamme, son extrême émotion, je dirais même son duende d’actrice qui m’ont subjugué et donné envie de travailler avec elle. La flamme du duende ne s’explique pas,elle se ressent, comme dit Lorca. Mais elle ne peut advenir, se réveler que dans un corps à corps, à mort, avec soi-même. Le duende est à la fois un risque et une douleur. C’est à ce prix qu’il se manifeste, comme la joie sans cesse à reconquérir. Tous les régimes totalitaires se sont sentis menacés par le duende. Mais ils n’ont pas pu le tuer. Il est là, dans toute sa présence tragique par la grâce invincible du poète Federico García Lorca.
Benjamin Barou-Crossman
Le gitan est ce qu’il y a de plus élevé, de plus profond, de plus aristocratique dans mon pays, de plus représentatif de sa manière et ce qui conserve la braise, le sang et l’alphabet de la vérité andalouse et universelle. Mais le duende…Où est le duende ? A travers l’arche vide souffle un vent spirituel qui balaie avec insistance les têtes des morts, en quête de nouveaux paysages et d’accents inouïs ; un vent qui fleure la salive d’enfant, l’herbe broyé et le voile de Méduse, et qui annonce le perpétuel baptême des choses fraichement créées .
Texte paru aux éditions Gallimard, La Pléiade.
« Coup de cœur (…) magistralement interprété par Mireille Perrier. » France Culture, Changement de décor
« (...) performance convaincante de Mireille Perrier. Si celle-ci relève le défi d'interpréter Lorca avec passion, en étant habitée par le texte, jouant – avec duende – de ses mains et de ses coups de talons, on peut regretter deux choses : une prononciation parfois peu naturelle de l'espagnol et la retenue du guitariste (...). Mais il laisse toute sa place à Mireille Perrier, et donc au texte, chargé de références littéraires, poétiques, artistiques, pas uniquement espagnoles. » Ivanne Galant, Reg'arts, 3 décembre 2013
3, rue des Déchargeurs 75001 Paris