Hasse Karlsson dévoile la terrible vérité : comment la femme est morte de froid sur le pont de chemin de fer
Théâtre tout public à partir de 10 ans.
Une fable gorgée d’humanité
Souvenirs et non-dits
La violence et la peur
Les personnages
L'univers
Je suis descendu regarder les étoiles. Elles aussi avaient l’air d’avoir froid. Et c’est à ce moment-là dans l’obscurité que je me suis mis à penser à ce qui s’était passé à l’époque quand ma mère et moi on s’était brouillés. C’était comme si j’avais de nouveau treize ans et je me suis dit : Mais que s’est-il vraiment passé à cette époque-là ? Pendant cet hiver d’il y a vingt-six ans ?
Fil tendu entre le présent et le passé. Hasse Karlsson adulte, en quête de vérité, se confie, s’interroge, témoigne. Il nous raconte son adolescence et tente de comprendre le « presque silence » qui s’est installé entre sa mère et lui pendant vingt-six ans.
En 1948, alors qu’il a treize ans, et qu’il habite une petite bourgade suédoise dans des conditions modestes, il est comme aspiré par l’Hirondelle, le fils du nouvel Inspecteur des Eaux et Forêts. Ce dernier l’entraîne dans des jeux de cruauté et de vengeance qui tournent à la tragédie.
Ce récit poignant interroge l’enfant dans son rapport à l’autre, à sa famille, au monde. Il montre l’importance du modèle adulte dans l’apprentissage de la vie, la nécessité des rêves et de la parole. Cette pièce travaille sur le mensonge, évoque la délation dans une Suède d’après-guerre à reconstruire. Mankell est en prise avec la question du bien et du mal qui jalonne toute son œuvre. Fable poétique sur les hommes et le temps, L’assassin sans scrupules… est un appel à la réconciliation, à « faire la paix », comme disent les enfants.
Par la compagnie La mandarine blanche. Texte traduit du suédois par Terje Sinding. L'Arche est éditeur et agent du texte représenté.
La puissance du souvenir
Je vais fouiller du côté de cette mémoire qui flambe et où la force des pensées supplante le présent. Hasse Karlsson rattrapé par ses fantômes, ses anges, passe d’aujourd’hui à trente-neuf ans, de trente-neuf ans à treize ans et de treize ans à trente-neuf ans et à aujourd’hui, simplement par la force du souvenir.
La première scène démarre sur cette question ouverte : « Mais que s’est-il vraiment passé à cette époque-là ? Pendant cet hiver d’il y a vingt-six ans ? » Un souvenir un peu lointain… Une plaie qui ne s’est pas refermée… La mémoire qui pousse à parler…
Ce qui m’a séduit, c’est le rapport direct qu’installe l’auteur avec le public. Le personnage de Hasse Karlsson s’interroge à la lueur du spectateur. Il l’implique dans la trame de l’histoire, sur les traces de sa vie. La tension dramatique est soutenue.
Les non-dits
J’ai repensé à cet ouvrage de Anne Ancelin Schützenberger (psychothérapeute, groupe-analyste et psychodramatiste de renommée internationale) Aïe, mes aïeux ! qui met en évidence le non-dit secret et sa transformation en un « impensé dévastateur ». La pièce de Henning Mankell est une invitation à la parole qui pour Anne Ancelin Schützenberger est une manière de reconquérir notre liberté et de sortir du destin répétitif de notre histoire, en comprenant les liens complexes qui se sont tissés dans notre famille.
Hasse Karlsson, adulte, garde en mémoire, ce qu’il n’a pas pu partager adolescent : son sentiment de culpabilité dans la mort tragique d’Aurélia, le vol de l’argent de sa mère dans la calle de « la Célestine ». A l’annonce de sa mère mourante, il revient pour raconter ce qui s’était passé. Il arrive trop tard, il lui faudra faire « la paix » autrement.
Cette incitation à venir se raconter et à libérer une parole est un point fort de la pièce. Ce message lancé par Henning Mankell est universel. Il s’adresse aussi bien aux enfants qu’aux adolescents ou aux adultes.
"La peur généralement répandue dans tous les domaines et la peur psychologique à l’intérieur du moi sont toujours la peur de ne pas être. De ne pas être ceci ou cela, ou de ne pas être tout court. Il reste certain que la peur reste incluse dans la structure psychologique du pseudo individu qu’est l’homme en général car cette structure n’est pas réelle, elle est verbale et l’homme cherche par tous les moyens, et tout le temps, à consolider cette armature psychologique à laquelle il s’identifie." (Extrait d’Entretiens avec J. Krishnamurti)
La pièce traite d’une relation où la fascination quasi hypnotique qu’exerce l’Hirondelle sur Hasse Karlsson tourne à l’irréparable. Hasse raconte sa confusion et sa fascination. L’Hirondelle joue à faire peur. Hasse éprouve une peur double, la peur qu’il ressent face aux risques et la peur de décevoir son ami. Ce phénomène servira d’engrenage : la peur, source de la violence conduira à la tragédie.
L’Hirondelle. On est là pour répandre la terreur !
Hasse. dubitatif. Ah bon ?
L’Hirondelle. Les gens qui passeront sur le pont seront nos victimes.
Hasse. Vraiment ?
L’Hirondelle. Vraiment.
Hasse. Pourquoi ?
L’Hirondelle. T’es bête ou quoi ?
Un duo d’adolescents…
Au centre du récit, l’histoire de deux adolescents issus de milieux sociaux très différents. L’incompréhension de Hasse d’appartenir à une famille si modeste soulève cette question « pourquoi y a t-il autant de différence sociale entre les hommes, comment la comprendre, faut-il l’accepter, est-ce acceptable ? »
Il n’est pas plus naturel pour Sven-Olof de vivre avec sa famille dans une seule pièce que pour l’Hirondelle dont le père est ingénieur des Eaux et Forêts de vivre dans sept. Comment un enfant, un adolescent réagit ou peut réagir face à cela. La pièce pose la question de l’acceptable dans notre monde. Il est devenu « presque normal » aujourd’hui d’accepter l’inacceptable. Cette pièce le dénonce.
... leurs victimes
Janine « la fille sans nez », qui subira des petits préjudices mais qui apparaîtra comme l’ange gardien de Hasse.
Aurélia « dévouée à Dieu », qui sera elle, la victime tragique d’un mensonge.
La femme du maquignon, « vieille chouette machiavélique », victime de leurs larcins et qui fera du chantage à Hasse et l’amènera à voler le rêve de sa mère.
La mère, au cœur du récit « tient le gouvernail » à côté d’un mari qui, de désespoir, reste tapi dans la cave.
… et des créatures invisibles
Le père, que la mère ne juge pas, comprend et invite Hasse à faire de même.
Le chat qui grimpe aux voiles de la Célestine.
A la fois nourri des univers cinématographiques et littéraires nordiques, de la peinture scandinave comme celle de Gustaf Fjaestad, Eugène Jansson, Anders Zorn et des films de Fellini comme Amarcord, nous avons cherché dans ce clair obscur comment onirisme et cruauté jouent du tambour.
L’esprit du jeu
Au cœur de l’histoire, Hasse Karlsson vient se raconter comme tout un chacun viendrait le faire, en se levant de son siège de spectateur. Aussi simplement. Quelqu’un apparaît, là, devant nous et vient se raconter. Sa mémoire flambe et viennent à lui ses fantômes. Il convoque dans ses souvenirs les créatures qu’il a rencontrées. Il nous invite à partager son passé. Il se confie, s’interroge, témoigne, là face à nous.
L’univers scénographique et pictural
Il ne s’agira pas de représenter réalistement les espaces de jeu mais plutôt de solliciter l’imaginaire du spectateur, de suggérer la neige, l’aurore boréale, le pont de chemin de fer…
Dans cet univers de noir et blanc jouent des tâches de couleurs, un chapeau rouge, des groseilliers, un trombone cuivré.
Une scénographie qui révèle des espaces, des objets qui roulent, qui tournent, disparaissent. Entre présence et absence, rêve et réalité, ombre et lumière. Verticalité. Transparence. Traversée.
L’univers musical
Les références musicales inscrivent également le récit dans le temps : Sweet Georgia Brown, Georgia on my mind, One o’ clock jump, Creole love call, Purcell / King Arthur.
La musique à sa façon racontera l’onirisme de la pièce.
Les costumes et le maquillage
"L’assassin sans scrupules… de Henning Mankell par sa dimension initiatique m’évoque l’univers brumeux et inquiétant des contes nordiques, l’étrangeté dérangeante des nouvelles d’Henry James. Les apparitions récurrentes et fantomatiques, appellent plus la suggestion que le réalisme. Passé et présent se mêlent, instantanés sépia ou noir et blanc, souvenirs effacés et persistants ajoutent encore au mystère et au non-dit de cette cruelle histoire d’envoûtement."
Jean-Bernard Scotto,
Direction des costumes, masques-masquillages
16, rue Georgette Agutte 75018 Paris