Chorégraphie de Caterina Sagna sur des musiques de Chemical Brothers, Django Reinhardt, Massive Attack, Moby, Diana Ross, Tindersticks.
Madame se fatigue vite, elle souffre de migraines et elle a toujours beaucoup à faire. Madame a très peur dêtre ridicule, elle sennuie souvent et elle souffre de dépression. Madame a régulièrement besoin de soins médicaux et de beauté. Elle se tient au courant de toutes les nouveautés en matière de culture ; elle nest jamais prise en défaut.
Madame na pas une seule carie.
Madame trouve les enfants trop envahissants et ne supporte pas les chats. Madame a des placements en bourse, mais elle ne se rappelle pas lesquels et sénerve quand elle lit les journaux. Madame a des souvenirs émouvants et licencieux. Madame ne cuisine pas mais elle sait composer des menus dun grand raffinement. Elle ne sait pas jouer au golf mais elle va au cercle tous les week-ends, elle ne lit pas de livres mais elle connaît les titres et les auteurs en vogue. Madame a toujours un peu froid et pour se réchauffer elle boit, elle adore le vin. Madame ne trouve jamais ce quelle cherche. Madame est prête à tout.
Madame se présente sous la forme dune Trinité maladroite : ses deux domestiques font preuve dobéissance et lui prêtent secours, à la lettre ils la montent, et leur vie sorganise autour de lexistence de Madame tout autant que celle de Madame sorganise autour de leur résistance (par conséquent tout souvenir de lycée de Genet est ici à proscrire) ; Madame se laisse écrire avec une majuscule, justement parce quelle na pas de nom ; comme Dieu, elle a du mal à se déterminer toute seule ; à la différence de Dieu, elle ne se fait pas prier.
Cest peut-être pour cette raison que le temps mesuré dun spectacle de danse ne permet pas de la découvrir complètement ; car elle est toute entière dans le partiel, le velléitaire, le manque. Ce que lon voit sur scène nest pas lillustration dun type humain, la femme riche ou la snob ; bien que noyée de vapeurs mondaines et entourée de totems bcbg, Madame nest pas moins absolue ni moins désespérée quHérodiade, Mélisande ou la Dame de Shalott, qui sont elles aussi des dames relatives. Et elle nest pas moins inconsolablement inconsistante quelles.(...)
Madame na pas de contenu, et, malgré tous les escamotages opérés pour sen approcher, elle na pas de forme. Plus exactement, elle est un contenu provisoire et destiné à disparaître, le moule dune forme à venir que dautres reconnaîtront, à moins quon ne le remplisse dautres contenus : le tissu se drape sur elle comme une substance inerte autour de sa matrice et cest seulement quand il sinsère en palimpseste dans une situation quon peut lappeler un vêtement. Cest seulement alors, quand elle est tout sauf nue, que Madame se révèle (dans le sens le plus religieux du terme : étendre un voile de lisibilité sur lincommunicable). Le dernier dogme de lavant-garde, celui qui assimile nudité et vérité, a perdu lui aussi de son mordant, mais on peut encore faire confiance à la boussole des grands crépuscules : Je te reconnaîtrai à ton masque.
Roberto Fratini Serafide, mai 2000
Traduction de Dominique Paravel
76, rue de la Roquette 75011 Paris