Avoir vingt ans chez Corneille
Les femmes au pouvoir au temps de Corneille
Quelle image peut-on avoir de Pierre Corneille lorsque l’on a vingt ans ? Je crains que ce ne soit celle de l’homme qui, courtisant "Marquise", lui écrivait : "Souvenez-vous qu’à mon âge, vous ne vaudrez guère mieux".
Trois siècles plus tard, "Marquise" lui rétorquait par Tristan Bernard et Brassens interposés : "J’ai vingt six ans mon vieux Corneille et je t’emmerde en attendant".
Vingt-six ans ! C’est même à vingt-quatre, en 1630, que le jeune Corneille entame sa carrière d’auteur dramatique. C’est dans la dizaine d’années qui suivra que se situe la jeunesse de Corneille.
Durant ces dix années, il produit essentiellement des comédies, faisant fi de la règle des trois unités, courant de succès en succès jusqu’à L’Illusion comique en 1638 et l’apothéose du Cid en 1637.
La Veuve, troisième pièce de Corneille, date de 1631 : Il a vingt-cinq ans… Ses personnages n’en ont guère plus, ils sont confrontés aux premières émotions amoureuses ; ils aiment ou croient aimer… Platoniquement, passionnellement, charnellement, respectueusement… Une veuve ! Jeune comme celle de La Fontaine ou comme Célimène, débarrassée d’un riche et vieux mari !
"Veuve, et qui ne doit plus de respect à personne" s’écrie-t-elle.
Dégagée de l’autorité parentale, dégagée du devoir de chasteté, libre enfin ! Jeunesse dorée, certes, et peu préoccupée des problèmes extérieurs – guerres aux frontières, révoltes paysannes etc. – trichant avec la vie, avec l’amour, se mentant à eux-mêmes dans la joie, la bonne humeur, la truculence…
Tout cela pourrait déboucher sur un drame comme dans Les Tricheurs, film à succès de Marcel Carné à la fin des années cinquante, alors que sévissait la Guerre d’Algérie ! C’est précisément dans ces années cinquante que nous situerons l’action.
Nous sommes loin du "Bonhomme Corneille" chrétien, patriote, attaché aux valeurs traditionnelles, qui, sous l’emprise du "démon de midi" courtisera la Marquise Du Parc, comédienne chez Molière et qui, ironie du sort, deviendra la maîtresse du jeune et séduisant Racine, sans atteindre l’âge de la déchéance que lui prédisait Corneille.
Jean-Louis Bihoreau
Au temps de Corneille, toute une littérature de recueils, biographies et compilations consacrée aux femmes dites "illustres", "fortes" ou "héroïques" a vu le jour. Elle coïncide avec l’influence grandissante des femmes dans la vie politique et littéraire de l’époque.
C’est sous les auspices de ces grandes dames - salonnières, animatrices culturelles mais aussi écrivaines ou mécènes - que Corneille fait ses débuts. Il donne les premières lectures de ses pièces à l’Hôtel de Mme de Rambouillet et reçoit, lors de la querelle du Cid, le soutien de la duchesse d’Aiguillon, nièce de Richelieu.
Il devient surtout l’auteur attitré du mouvement Précieux. Ses admiratrices sont les premières spectatrices du théâtre professionnel en France, qui accueille également, dans la première moitié du XVIIe siècle, ses premières comédiennes. Parmi les lectrices et protectrices de Corneille, notons également la présence de ces Amazones frondeuses qui jouent un rôle politique majeur dans les années 1650.
Rien d’étonnant donc dans le fait que Corneille ait placé au coeur de son théâtre les figures de ces femmes de pouvoir, passées et présentes, qui ont nourri ou soutenu sa création littéraire depuis ses débuts de jeune poète jusqu’à sa mort.
En mettant en scène des régentes et impératrices hantées par la raison d’État ou l’ambition politique, Corneille s’adressait également aux reines et princesses de son temps, ainsi qu’à toutes ses lectrices, mécènes et spectatrices qui se confrontaient à ces modèles ou contre-modèles de gloire féminine.
Aurore Evain
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