Pendant plusieurs mois, je suis allé voir mon père à l'hôpital. Il était atteint d'un cancer en phase terminale. Le soir, je consignais mes visites dans un journal, essayant de retenir ses dernières paroles et ses derniers gestes. Au fil de l'écriture, le souvenir de son alcoolisme, d'un passé dont je n'avais jamais osé parler, me revenait. Je savais dès lors que ces visites me fournissaient la matière d'un livre.
Mon père est mort ; le livre, intitulé "La dernière année", a été publié
deux mois plus tard. Les circonstances de la vie ont fait que mon père ne le
lirait pas.
La proposition de Jean-Paul Muel d"adapter "La dernière année" au théâtre, m'a surpris et intéressé. Concevoir l'adaptation d¹un texte sans dialogue,
écrit sans le souci et sans la perspective d'une mise-en-scène future, me semblait correspondre à la vision moderne d'un théâtre envisagé comme
recherche d'une nouvelle forme et comme entreprise de recréation du littéraire. Même si une adaptation, fût-elle ou non fidèle, fût-elle ludique
et conçue pour le spectacle, risquait d'aviver une douleur encore récente et de me replacer dans une situation que j'essaie peu à peu d'oublier.
Cette appréhension s'est dissipée la première fois que j'ai entendu Pierre Gérard lire un passage de "La dernière année". Nous étions autour d¹une
table, un après-midi. Pierre lisait lentement. Sa voix lançait dans le silence des phrases et des images qui avaient brusquement cessé de
m'appartenir. Pierre s'était emparé de mon histoire. J'ai alors imaginé ce que pourrait être un théâtre vraiment généreux qui, grâce à un engagement
total de soi dans un texte, redonnerait celui-ci au public avec toutes ses vibrations. Cela ne me rendait pas triste. J'éprouvais seulement un peu de
nostalgie et d'émotion à l'idée que ce texte, né pour ainsi dire dans une chambre d¹hôpital, poursuive son aventure sur la scène.
Philippe Vilain
Lorsque j'ai refermé le livre de Philippe VILAIN, "La dernière année", la nécessité de faire connaître ce texte est devenue pour moi une évidence. Et
cette nécessité passait par la scène. J'avais envie de donner un visage, une voix à ce fils qui avait choisi l'écriture pour accompagner son père vers la
mort et le désir aussi de raconter cette histoire d'amour ; celle d'un fils pour son père.
Avec Pierre GÉRARD qui sera ce visage et cette voix et avec la complicité de Philippe VILAIN nous avons adapté ce roman pour la scène. Ce texte écrit
à la première personne, avec des mots simples, un style fluide, direct, une narration progressive, s'est imposé à nous comme monologue de théâtre. Et à
travers cette histoire personnelle, unique, intime il nous a semblé que chacun pouvait s'identifier et retrouver une part de soi.
Pour transposer ce texte en scène, il m'est apparu important de montrer les deux présents qui sont en parallèle. D'un côté un homme écrit, de l'autre un
homme meurt. Jouer ces deux présents en adresse directe, raconter l'évolution de l'écriture et celle de la maladie. Et entre ces deux
présents, un long chemin pour aller de l'un à l'autre. Un chemin où se côtoient ; "La dernière année", le temps de l'écriture et le souvenir de
toute une vie. Faire de ce chemin un espace de jeu, de liberté, de ludicité pour être à la fois soi et les autres, pour donner vie à ce texte, le rendre
objet de théâtre et d'émotion.
Jean-Paul Muel
2, passage du Bureau 75011 Paris