Dans cette époque où l’amour est considéré comme une fausse vertu, une marque de politesse, et où l’on arbore fièrement sa virtuosité dans l’art d’être cruel, un libertin, une libertine, se lancent, un soir de désœuvrement semble-t-il, dans une joute de secrets d’alcôve.
Leur conversation porte avec ironie sur leurs conquêtes respectives, puis très vite un jeu sournois s’installe : se séduire l’un l’autre. Ne s’estimant pas dupes, ils pousseront pourtant la partie jusqu’à se laisser piéger par la vérité des sentiments dont ils se jouent si brillamment.
Cette œuvre concise de Crébillon fils est un petit bijou assez mal connu du public, contrairement à “sa grande sœur”, Les Liaisons Dangereuses.
Pourtant, derrière la vivacité du dialogue et les réparties aiguisées, traitées dans le plus pure style verbal du XVIIIème Siècle, le propos de cette pièce est d’une remarquable actualité ; peur pour son ego, peur d’être sincère, peur d’exposer ses émotions, tout simplement peur d’aimer.
Se masquer derrière la dérision pour ne surtout pas avoir à dévoiler son cœur, voilà qui fut autrefois une mode, un passe-temps réservé à une élite quelque peu léthargique et désabusée : les libertins. Aujourd’hui c’est un petit talent caché qui sommeille en chacun de nous, un « joker » qu’il nous est bon de sortir lorsque nos émotions risqueraient de parler pour nous.
C’est ainsi, en tout cas, que j’ai souhaité le traiter. Un duel de comédie, vivant, charnel, ridicule parfois, pour ne pas dire “boulevardier”. Autant en rire, puisque c’est un sujet sérieux (merci Molière !). Les deux protagonistes, Clitandre et Cidalise, fardés de blanc, “emperruqués”, empanachés dans leurs robes de chambre de taffetas crissant, voient leur batterie d’artifices se retourner contre eux.
Qui dit duel dit témoin ; il y a dans ce texte des didascalies singulières, sorte de commentaire ou de morale sur l’état d’esprit des deux personnages. J’ai imaginé pousser la théâtralité jusqu’à l’incarnation en un troisième personnage de ces didascalies, un Eros décadent, diablotin surgissant de sa boite au moment fatidique.
En ce qui concerne les traitements visuels et sonores, j’ai souhaité axer le travail sur une
évocation épurée de l’époque plutôt d’avoir recours à une narration figurative :
• L’espace. Dans un écrin monochrome grenat capiteux de taffetas et de tulles
moirés, deux bergères gravitent autour d’un repose-pied stratégique, cherchant à s’unir
pour constituer un lit, tels deux pions sur un échiquier...
• Les costumes. Volumes massifs, plis à la Watteau, même texture et même couleur que l’ensemble du décor…
• La lumière. Effet cuivré d’une rampe, bougies, et mise en valeur de la transparence
d’éléments architecturaux…
• La musique. Deux thèmes (leitmotiv des deux personnages), s’affrontant dans un
fugato ludique.
... Autant de clés permettant aux spectateurs d’entrer sans effort dans l’univers de ces deux libertins, se laisser porter par la magnificence du texte, et faire la part belle à l’essentiel humain.
Jean-Michel Adam
7, rue des Plâtrières 75020 Paris