Cette pièce qui se déroule en Haïti aurait pu tout à fait se situer en Afrique après les Indépendances. La décolonisation terminée, se pose alors le problème de bâtir une Nation moderne et autonome. Le héros, le Roi Christophe, symbolise le destin collectif du peuple. L’entreprise gigantesque qu’il doit mener est celle de bâtir un patrimoine authentique et par ce biais une nouvelle identité.
Pauvre Afrique ! Je veux dire pauvre Haïti ! C’est la même chose d’ailleurs. Là-bas la tribu, les langues, les fleuves, les castes, la forêt, village contre village, hameau contre hameau. Ici, nègres, mulâtres, griffes, marabouts, que sais-je, le clan, la caste, la couleur, méfiance et concurrence, combats de coqs, de chiens pour l’os, combats de poux ! Poussière ! Poussière ! partout de la poussière ! pas de pierre ! de la poussière ! de la merde et de la poussière !
Christophe qui se fait couronner Roi, crée une véritable noblesse avec ses titres et ses devoirs, afin de restituer une dignité aux hommes et aux femmes d’Haïti. Il règne alors sur une cour bouffonne, sur une noblesse d’opérette, dont le style roccoco n’est pas sans rappeler celle du 1er Empire.
Ce roi noir, un conte bleu, n’est-ce pas ? Ce royaume noir, cette cour, parfaite réplique en noir de ce que la vieille Europe a fait de mieux en matière de cour !
Pour faire régner l’ordre et la discipline, et face à l’inertie des habitants, Christophe utilise la tyrannie et la dictature. Ses lois, ses agissements suscitent la rébellion et la révolte parmi le peuple. Quant à ses ennemis, leur seul souci est de l’anéantir et de mettre fin à son gouvernement qu’ils jugent inique et caricatural. La politique est ici vécue comme une invention où se joue le destin d’un peuple. Et c’est parce que Christophe situe son action dans le rêve et la démesure qu’il est seul. Sa solitude est celle de Prométhée.
Face à son impatience de forcer le destin, le héros voit s’évanouir sa pureté primitive. Ses forces s’essoufflent ses espoirs s’éparpillent, il ne devient plus au fil du temps qu’une caricature de lui-même.
Quel ennemi invisible campe autour de mes murs, dressant contre moi ses engins ? Afrique ! Aide-moi à rentrer, porte-moi comme un vieil enfant dans tes bras et puis tu me dévêtiras, me laveras. Défais-moi de tous ces vêtements, défais-m’en comme, l’aube venue, on se défait des rêves de la nuit… De mes nobles, de ma noblesse, de mon sceptre, de ma couronne. Et lave-moi ! Oh, lave-moi de leur fard, de leurs baisers, de mon royaume ! Le reste, j’y pourvoirai seul.
Flamboyante et baroque, La tragédie du Roi Christophe est écrite dans une langue truculente. Le drame historique, donne à cette pièce une allure shakespearienne. Aimé Césaire a réussi à travers la dérision, par la grâce d’un lyrisme tonitruant à construire une œuvre qui ne ressemble à aucune autre.
6, rue Marcelin Berthelot 93100 Montreuil