Une étrange rencontre
Note d'intention sur le texte
Note d'intention de mise en scène
Les personnages
La scénographie
La lumière
Le son
La chorégraphie
C'est la nuit. A la suite d'un évènement familial une fillette est mise à la porte de chez elle. Elle se réfugie dans un square. Là, débute une attente interminable. Le calme ahurissant et le noir se déploient lentement. Le jardin n'est plus qu'une flaque sombre et immense. Soudain, comme déposée par le mouvement du ressac, l'Adulte apparaît. Progressivement un dialogue s'installe entre elles deux. Le parc devient alors le territoire d'exploration d'un temps à venir ou disparu. Qu'est-ce qui unit ces deux êtres ? Qui sont-elles l'une pour l'autre ? Une étrange rencontre, au cours de laquelle l'Enfant et l'Adulte se rejoignent pour passer de la nuit au jour, de l'ombre à la lumière.
A l'origine de ce texte un écho.
De manière fortuite lors d'une séance de travail, un cri a retenti. A nouveau. Ce cri enfoncé dans ma chair s'est frayé un passage entre mes dents et par ma bouche à cherché une issue. Je décide alors que cet appel ne restera pas suspendu dans l'atmosphère. Et je me confie une mission improbable, retrouver la petite fille que j'étais. La rejoindre à un instant et dans un lieu précis de l'enfance. L'écho devient guide d'écriture et désormais, je suis « l'Adulte », je dois parcourir le temps, traverser une partie de mon existence pour m'asseoir à nouveau, sur le banc du square et renouer avec ce qui me semble aujourd'hui un évènement fondateur.
Comme Fellini l'avait promis à l'enfant qu'il fut, l'Adulte rend visite à la petite et à travers elle, la famille, sa vie, des pays. A l'abri des mots la fable s'écrit, une histoire familiale romanesque, le cinéma des années soixante (la nouvelle vague)
incarné par le père machiniste de profession. Une grand-mère militante communiste et comédienne en pleine Espagne franquiste. Une mère paranoïaque et maltraitante. Une enfant disputée par deux femmes, la mère et la belle-mère. Au-delà du récit, matériau banal d'une réalité familiale, ce qui importe est la naissance du dialogue entre l'Adulte et l'Enfant. La possibilité d'une relation fantastique et imaginaire. Que la rencontre ait lieu. Que le plaisir émerge.
Une mélodie
A l'origine de ce texte un cri. Un appel au secours dans la nuit. Et plus rien. Immédiatement après ce cri, la course éperdue d'une enfant dans les rues et une pluie de mots qui se déverse. Comme un long sanglot, un monologue retrace les moindres détails du drame qui vient d'éclater. Le rythme s'accélère. Haletant et pétrifiant. L'averse inonde l'espace. L'instant d'après, l'Enfant est sur un banc, dans un square. Seul lieu possible pour cette rencontre, le square, plus précisément ce banc où leur vie s'est fossilisée. Cet espace vide est un refuge, une escale, un tremplin, une grotte profonde où les cauchemars naissent et disparaissent. Ce jardin est le lieu où tout se joue, se rejoue, tout s'invente. Le lieu où les liens vont se créer.
Une énergie
Le cri est fondateur, on pourrait dire un pré-texte. Entre le cri et l'écriture, il y a l'errance. Celle de l'Enfant perdue dans la nuit, dans le désarroi de son drame, et celle de l'Adulte dans une vie somnolente. Une existence dédiée à la reconstruction sinueuse et à la conquête de nouveaux territoires. L'oubli partiel mais vital. Le texte prend sa source à l'endroit de la rupture du silence. Le récit nous porte dans les coulisses de la vie d'une famille. Nous allons partager le vide qui absorbe, le drame qui emplit. Nous allons suivre pas à pas une fusion. L'Enfant, l'Adulte, leur famille tout cela est une fable qui nous transmet les éléments pour écrire. Au-delà, c'est le rapport charnel et imaginaire qu'elles entretiennent et qui les fait vivre qu'il faudra mettre au jour. C'est cette réalité qui sera en jeu, faite de vrai et de faux. Sur la scène enfin, il sera question d'un espace vide, de lumière à venir, de sons, de liens à tisser. De théâtre en somme.
La nuit va bientôt recouvrir la ville. Une enfant entre dans un parc à une heure où elle devrait être chez elle, dans son lit. Un fait divers familial conduit les spectateurs dans un espace de verdure où l'enfant terrorisée s'est réfugiée pour quelques heures. Puis une adulte apparaît et décide de rester auprès de la jeune fille jusqu'au jour.
Tout se joue dans un lieu unique.
Nous sommes à l'endroit du passage. Entre la course effrénée de l'enfant et une autre vie. Entre un point d'entrée et de sortie, dans un sas où tout n'est pas opaque mais amorti par le poids des années et d'un drame en couveuse. Dans ce jardin public une rencontre exceptionnelle a lieu, celle de l'enfance et du monde adulte, un voyage qui s'écoule dans la temporalité complexe des personnages et de cette nuit. Le jardin est un territoire fabuleux où la relation entre ces deux égarées prend corps, où les sens sont à vif, où les histoires se confondent aussi.
D'une manière formelle le parc sera au centre de la scène, un cercle au coeur d'un espace plus large dont les limites ne seront pas signifiées. Dans le cercle un banc, pour unique décor, les éléments manquants seront à imaginer. Enfin, l'espace de théâtre est le seul où l'on peut rejouer une scène, la donner à voir, à entendre au public, dans son aspect le plus épuré. L'action n'est pas le moteur. Ici, il ne se passe rien, à priori.
L'Enfant
La petite est dans un espace en suspension avant ou après le rebond, il faudra choisir. Dans une posture qui ne lui propose aucune alternative, dans l'attente de la minute, l'heure qui suivront. Le silence et l'immobilité la caractérisent. Elle est patiente, elle a peur, elle imagine, observe et écoute. Elle est la part sensible du récit. Elle est à la porte de chez elle, à la porte de ce qui va devenir sa légende.
Une enfant en chair et en os
Je voulais que l'on soit au plus près la réalité de l'événement : une enfant est jetée hors de l'intimité de son appartement dans l'espace public à une heure où elle devrait être chez elle. L'enfant est déjà sur une scène. La scène du monde. Cet enfant là fait irruption et annonce un effondrement à venir. Elle est à la merci de sa vie. Le corps, le regard, la tessiture de la voix et le temps biologique des enfants sont absolument différents des nôtres. Je voulais que cette enfant soit charge de réalité. La remplacer par une adulte où une marionnette aurait authentifié la mort de l'enfant en nous et par là même, signifié l'impossibilité de cette rencontre. Le texte n'avait plus de raison d'exister au plateau. Il y a dans cette apparition une violence faite aux spectateurs qui interroge de facto notre moralité d'adulte, de parent, de citoyen. Quel est donc ce chemin qui conduit cette jeune fille jusqu'à nous ?
L'Adulte
Elle apparaît à un moment clé de sa vie, en chemin vers le domicile de sa mère qu'elle n'a pas revue depuis très longtemps. Elle est déjà sur le chemin d'un certain retour. Elle entre vacillante sur le plateau, déjà en déséquilibre, une fragilité à se tenir debout. Le parcours de ce personnage est interrompu par la rencontre de l'enfant. Cet événement la conduit à rester dans le lieu d'un drame ancien qui surgit malgré elle. Elle n'a d'existence sur le plateau que par la présence de l'enfant qui murmure le drame. Elle est le point B d'un duo en perpétuel rééquilibrage. Elle est tour à tour la
figure maternelle, la figure errante des adultes, la mobilité et la liberté chaotique. Elle incarne le monde, le réel aux yeux de l'enfant. Elle est au temps de l'évènement de l'enfant, au temps de son enfance, et dans un temps intermédiaire situé entre celui de la représentation et celui plus onirique du souvenir.
La relation Enfant/Adulte
La relation entre les deux personnages n'est pas uniquement celle de la protection mais aussi celle de la blessure, de la brisure. L'adulte n'est ni toute puissante, ni totalement bienveillante et l'enfant n'est ni totalement fragilisée, ni totalement candide. Ces deux êtres passent alternativement par ces états. C'est un duo en équilibre, l'une est mobile l'autre non, l'une choisit d'être là l'autre y est contrainte. L'une a son histoire à portée de main alors que l'autre tente d'y revenir. Elles sont sur un fil veillant à ce que l'autre ne chute pas. Ce sont des anges l'une pour l'autre et chacune individuellement. Qui sont-elles l'une pour l'autre ? Au plateau le mystère subsiste. Apparition, révélation, illusion, dédoublement ? Tout
est envisageable !
Cet espace est le lieu de la brisure, du refuge, de la rencontre, du fantasme, des projections. Nous voudrions placer le public au plus près de cet événement, de ce lieu du drame. Pour ça, nous chercherons à faire entendre et à voir toutes les sensations. Notre dispositif ne sera pas illustratif, il tentera de situer cet espace au centre du plateau et de jouer sur l'illusion de la suspension, de l'équilibre précaire. Mais également de faire exister ce lieu comme un espace mental, celui de l'adulte aux prises avec une mémoire qui surgit.
Le banc est le lieu unique de l'enfant. Il n'est pas sûr qu'elle soit en mesure de le quitter vraiment. En revanche le banc se déplacera en arc de cercle, de jardin jusqu'au bord de scène. Le point de vue du spectateur évoluera ainsi selon le temps de cette nuit et de la représentation. Comme l'objectif d'une caméra, nous serons dans une vision de plus en plus subjective à mesure que l'enfant se rapprochera du public. Mais concrètement le square est à inventer, il faut en définir des limites abstraites, les couleurs, le volume. Le son, la lumière, les images seront nos outils.
Les deux personnages entrent dans cet espace au crépuscule et n'en ressortiront qu'à l'aube. L'attente est leur unique action véritable. La nuit est le long tunnel qu'elles doivent traverser pour enfin sortir de ce parc. La lumière est l'indicateur du temps qui va lentement s'écouler. Le noir qui les enveloppe est une matière dont chaque variation modifie l'état des personnages. Augmentant ou apaisant la tension entre elles deux.
La lumière pourra délimiter le parc dans l'espace plus large du quartier (la rue, les immeubles) mais également mettre en scène le parc, suggérer des éléments (lampadaire, marronnier, ombres au sol). Elle mettra également en scène les personnages dans leur espace propre. Celui du banc pour l'enfant et celui plus large du square dans sa globalité pour l'adulte, voire des extérieurs (la rue, un espace temps autre). On pourra aussi créer des « niches » sur le plateau afin d'isoler ou de faire disparaître un personnage.
Enfin, dans le voyage de cette nuit l'adulte traversera des épisodes de sa vie qui pourront être soutenus par des projections d'images réalistes ou non. Le plateau pourra être le support de ces projections. Celles-ci feront l'objet d'une mise en espace spécifique. Les répétitions seront l'occasion de dessiner en direct des scènes mais aussi des éléments du texte qui ne peuvent apparaître au plateau.
Au même titre que la lumière, le son envahit ce lieu. Qu'il soit textuel ou sortant du paysage, la nuit fait vibrer cette matière, lui conférant un statut particulier. Chaque bruit parvient à l'enfant, la pétrifiant sur ce banc. L'environnement est chargé de ces exclamations urbaines (sirènes, aboiements, voix) Plus ou moins proches, elles résonnent chez les deux personnages. Le rythme et l'intensité de cet univers sonore varient au fil de la nuit mais ne cessent jamais totalement.
Nous tenterons de mettre en scène le son comme un matériau partenaire ou adversaire. D'amplifier certains sons. De situer sur l'espace du plateau leur proximité. Cette matière sonore suivra également la course du temps de la nuit.
Lorsque notre mémoire nous abandonne, le corps lui se souvient. Le corps et le mouvement seront un des axes essentiels de la recherche au plateau. Le silence est une matière opaque dans ce duo, la parole n'est pas essentielle, les corps car ils ont digérés certains évènements de la vie, expriment un autre texte indicible. Ces mots enfermés dans l'enveloppe charnelle seront les détonateurs d'une danse – étincelle qui jaillira à certains endroits du texte.
Le duo sera aussi la base d'un travail corporel autour du miroir, il s'agira de travailler sur une exacte réalisation d'actions, un ballet fortuit entre les deux personnages.
31, rue Henri Kleynhoff 94250 Gentilly