Le déclin de la vie
Le salon et les personnages
La musique
Le décor
On se trouve dans un salon autrefois très riche, où tout est usé, abîmé, dans une famille représentant trois générations, attirées dans la spirale du déclin psychique, physique et financier. Le grand père (Simon Versnel), pilier central, entraînera inconsciemment dans sa chute ses enfants et petits-enfants en essayant de survivre avec honneur, classe et dignité.
Le déclin de la vie, de son éclat, c'est une évolution, une diminution de grandeur qui entraîne un dépérissement dans le temps. Comme un empire, une famille ou un auteur, tout a un déclin qui entraînera le remplacement par un autre, nouveau, qui grandit.
Le grand père de cette famille riche est un homme mûr, doux, affectif et attachant, déclinant financièrement à cause d'une névrose obsessionnelle pour des bijoux familiaux, jusqu'à la perte de sa raison, puis celle de son honneur. Résistant jusqu'à la jalousie, la mégalomanie, la folie pour sombrer dans la fuite, le suicide. En laissant à ses enfants les questions, les regrets, les reproches, l'héritage, le partage du peu qu'il reste. Le pourquoi de cette chute qui a été plus forte que sa raison, et les conséquences involontaires qu'il impose à ses enfants en voulant les protéger et les préserver... En antithèse les enfants, les représentant la fraîcheur, la grandeur et l'espoir de cette famille avec toutes les pressions qu'ils peuvent subir.
Nous nous sommes inspirés comme point de départ pour le travail chorégraphique de chacun, des causes possibles du déclin, de ses effets et de ses conséquences. Celui qui arrive insidieusement, par une maladie, une obsession, une paranoïa ou une ambition cachée par le temps, qui se découvre et que l'on n'ose pas affronter. Celui qui surprend lorsque c'est déjà trop tard et que l'on aperçoit à peine, alors que le mal a déjà tout contaminé, tout rongé.
Que les causes soient imaginaires ou pas, il peut amener des effets comme la méfiance, l'aigreur, l'accablement, la jalousie ou la méchanceté, et des conséquences telles que la dépendance, la fuite, la perte de la raison, la déchéance, la folie ou le suicide. En poussant à l'extrême des situations, les cassant quelquefois avec humour et profondeur, les interprètes accentueront la tragédie des personnages et de la pièce.
Nous découvrons donc un "salon" autrefois riche, très luxueux mais usé par le temps, avec des traces sur les murs, deux énormes lustres qui ne s'allument plus très bien, mais qui illuminaient autrefois les concerts, les bals et parfois même les spectacles organisés par la vieille mère et l'intendante. Il y a un piano désaccordé et silencieux, une énorme bibliothèque presque vide, un miroir, les traces noires sur le papier peint laissées par de très beaux portraits familiaux, vendus, oublié. Il ne reste plus que celui du grand père lorsqu'il était jeune.
L'espace devient un personnage central. Le salon participe au déclin, il nous montre le délabrement physique et matériel, nous laissant imaginer un délabrement financier. A partir de cette image et de cet espace physique réaliste, nous avons développés notre pensée chorégraphique, en cherchant le décalage entre l'espace et les comportements physiques. Comme celui d'un corps insouciant, aveuglé par sa jeunesse, corps qui ne résiste pas aux effets que le déclin peut avoir sur lui, et se laisse envahir. Inversement pour ceux qui, conscients du déclin, vont résister physiquement et devront lutter, essayant de garder une richesse intérieure, une poésie malgré leurs chutes qu'ils n'acceptent pas, mais que l'on aperçoit.
La nuit, dans ce huis-clos quelquefois silencieux et vide, on entend les pleurs d'un enfant. Le vieil homme vient dans le salon, habiller de tous les bijoux familiaux qu'il a accumulé. Couronnée de son passé glorieux, il brille dans l'obscurité. Et dans une danse frénétique d'où jaillit le bruit métallique de ses bijoux, il se regarde dans le seul tableau encore accroché au mur, reflet de sa jeunesse...
Le langage chorégraphique va de paire avec le discours dramatique que nous voulons développer. Sans suivre une ligne narrative, le mouvement devient ' la pensée en mouvement' de l'interprète. Nous sommes à la recherche de mouvement, comme nous recherchons toujours un langage qui nous permet d'exprimer nos pensées, nos états profonds, nos erreurs. Laisser parler l'interprète, qu'il puisse donner, livrer un reflet de sa réalité et en retirer les éléments qui nourriront la fiction. Nous avons explorés une gestuelle spécifique à partir des envies de chacun en exploitant au maximum les potentiels théâtraux et physiques. Nous avons développer aussi les possibilités et les contradictions des personnages et de leurs actions, leurs changements de point de vue les rendant plus riches, plus surprenants et plus vrais. Ne suivant pas un chemin linéaire et poussant les mouvements à leur paroxysme, nous avons essayés de développer les scènes pour obtenir leur charge émotionnelle maximale, suivant une structure où les situations doivent finir plus fortes qu'elles n'ont commencé, obligeant la trame à toujours rester surprenante et à monter en tension.
En référence au film de Satyajit Ray Le Salon de musique, l'intendante (la mezzo-soprano Eurudike de Beul), interpréte les arias autrefois chantés dans le salon par de vrais divas, aidé par le baryton Simon Versnel, essayant de continuer ainsi la longue tradition de la maison, le tout contrasté par les conflits et les confrontations musicales liées aux différences d'âge entre les trois générations.
Nous avons aussi fait une recherche musicale avec le piano désaccordé, utilisant des pièces de Schnittke pour laisser imaginer la richesse musicale passée. L'intendante interprètera en démontant touche par touche, corde par corde le piano, jusqu'à son éventrement.
Le Décor a été dessiné et construit par Pol Heyvaert (Alain Platel - Peeping Tom). Nous avons utilisés un sol spécial en caoutchouc, dur en surface mais très souple, qui nous permet d'expérimenter chorégraphiquement des mouvements difficiles, dangereux voire impossibles à exécuter sur un sol normal.
La pièce se passe de nuit, éclairée par les lustres et les lampes du salon et du jardin, le plus naturellement possible, créant une atmosphère proche de la réalité.
17, boulevard Jourdan 75014 Paris