De l’écriture à l’image par Paule le Diore
Texte de Michel Ecoffard
Extrait
Un lieu clos, peut-être une chambre
Une femme seule, mais avec deux voix
Elle économise ses gestes, mais souvent les gaspille
Elle peint, mais efface des toiles
Elle perd la mémoire, mais retrouve des gestes
Elle aime, mais détruit cet amour
Elle est perdue, mais se retrouve et s'envole de l'autre côté de la toile
LE PETIT-ŒIL, Soliloque à deux voix " est comme une musique intérieure, une fugue où les répliques de " L'Une et l'Autre " s'enchaînent, se répondent, se croisent, faisant vibrer les sentiments les plus secrets, les plus tus. Ici la musique et la peinture s'unissent aux mots et à leur interprétation pour dire un besoin impétueux et fou de fuguer, fuguer de sa vie.
De l’écriture à l’image par Paule le Diore
Ma vie est faite d'itinérance et d'éphémère. La Bretagne connait bien le drôle de chapiteau gonflable bleu et jaune avec ses caravanes : c'est mon théâtre, j'y vis sept mois de l'année. Saisir l'instant, l'émotion qui nait et qui s'en va. Les recréer sur le papier, sur la toile en faisant jaillir mouvement, énergie, puissance ? J'aime. Au théâtre, en jouant j'ai pu sentir l'importance du geste. Du geste en tant que signe, en tant que langage. Le geste révèle le monde intérieur de l'être et nous sommes pleins de traits, de lignes, de courbes, de points. C'est plein de respiration, de vie. Les émotions, les pensées qui nous habitent sont plus ou moins aiguës, plus ou moins pleines, plus ou moins rondes. Et chez moi elles s'expriment en NOIR. Plus ou moins intenses, rapides, larges ou légères. Puis j'attends, je regarde, j'écoute ce qui " est " . La couleur viendra tout préciser avec tendresse ou violence. Elle viendra aider la lecture. Non pas une " couleur-matière " mais une couleur comme un voile, comme une lumière embrumée, indéfinie. Sauf pour le ROUGE. Le rouge appartient au trait et pour moi le trait est premier.
" Dernièrement j'ai souffert d'une dépression nerveuse, me débattant avec des souvenirs dont parfois je discernais l'exacte réalité et parfois leur construction par mon esprit. Sans cesse je me parlais ou plus exactement un autre me parlait. Tout à tour moqueur, violent, destructeur. J'ai écrit " Le Petit-Oeil " en essayant de rendre ce qui s'était passé en moi mais en le transposant chez une femme. A travers cette création je me suis guéri. Et j'y ai intégré une considération sur la création. J'ai choisi la peinture, car étant mal voyant, lorsque je ferme les yeux et que je laisse monter la souvenance, toujours elle se transforme en un tableau. Théâtre scalpel et chirurgie de l'intime. "
L'UNE : C'est là que moi j'ai compris ce que c'était avoir du coeur. En avoir, pas seulement. Mais en user. L'utiliser. L'employer pour laisser une empreinte, une trace de ceux qu'on a aimés, haïs, méprisés ou adorés. Tu comprends, si ton coeur est bleu, avec lui tu peindras le rêve, l'amour. Si ton coeur est rouge, tu pourras avec peindre l'enthousiasme ou le désespoir. Moi ce jour d'enterrement de maman mon coeur devait être rouge. Et ce soleil couchant c'était maman. C'était ma façon de pleurer avec des traits comme des larmes qui coulent à pic et des courbes comme celles qui s'enroulent autour des joues.
(Brutalement)
Qu'est-ce que tu as eu besoin, tout à l'heure, de t'engueuler avec moi devant le bonhomme. C'est des histoires entre nous. Ça regarde personne. Et pourquoi tu lui as dit que ce que je racontais était faux. Et si ça me plaît à moi ?
L'AUTRE : Je l'ai fait parce que je suis un peu moins cinoque que toi et que je veux rester dans la réalité.
L'UNE : Qu'est-ce que c'est la réalité ? Moi je cherche ma vérité. Et celle-ci est aussi vraie que la tienne. S'il me plaît, à moi de m'inventer le dessin de mon enfance ? Si cela me permet d'oublier. Je suis amnésique par le vouloir.
(Perfide)
Mais toi t'es amnésique par maladie.
3, rue des Déchargeurs 75001 Paris