« Dans une école de musique, qui est le théâtre lui-même (pas de décor sinon quelques chaises et des pupitres, divers accessoires), un trio de musiciennes, dont une chanteuse, joue Bach. Il y a là un homme qui va et vient, à la fois familier et étranger à ce qu'on joue. Il a l'air usé, pauvre, indécis. Que vient-il faire là ? « Qu'est-ce que vous foutez-là, monsieur ? » aura-t-on envie de lui dire, tout en s'accommodant de sa présence. Car cet homme, c'est l'acteur Michel Robin. Il va jouer Les Méfaits du tabac, de Tchekhov. » Denis Podalydès
« Comme sujet de ma conférence d’aujourd’hui, j’ai choisi pour ainsi dire, le danger que fait courir à l’humanité l’usage du tabac. Personnellement je fume, mais ma femme m’a ordonné de parler, aujourd’hui, des méfaits du tabac, donc, il n’y a pas à discuter. Puisqu’il faut parler du tabac, parlons du tabac, cela m’est complètement égal ; quant à vous, Mesdames et Messieurs, je vous prie d’écouter ma conférence avec tout le sérieux voulu, pour qu’il n’y ait aucun désagrément. Ceux qu’effraie une conférence sérieuse, scientifique, à qui cela risque de déplaire, n’ont qu’à ne pas écouter et sortir. » Anton Tchékhov, extrait des Méfaits du tabac
Michel Robin est Nioukhine des Méfaits du tabac. « Mesdames, et pour ainsi dire, messieurs… » Pourquoi cette conférence ? Pourquoi ce sujet ? Pourquoi dans une académie de musique ? Sa femme lui a demandé ça « dans un but de bienfaisance », pour qu'il rapporte quelques sous à l'école de musique, probablement, et se rende un tant soit peu utile, lui qui ne connaît rien à rien.
Qui est cet homme vague, on le saura au fur et à mesure qu'il prononce sa conférence, enfin, ce qu'il dit à la place de la dite conférence, dont on ne connaîtra jamais que l'intitulé : les méfaits du tabac. Nioukhine se livre, en différant sans cesse de parler de son sujet, à un portrait détaillé, comique, navrant et absurde d'une existence inutile, toute entière soumise à l'autorité de sa femme. Celle-ci, on ne la voit pas, on l'attend. C'est le personnage principal. Celui qui donne raison à ce qui est, à l'école de musique, aux musiciennes, et à lui, qui fiche le camp quand elle arrive, et alors c'est fini, rideau. Toute une vie, une vraie vie, rien moins, a passé là devant nous.
Michel un jour m'a parlé de ce projet. Il avait joué ce texte dans sa jeunesse. Un des premiers qu'il ait jamais dits. Il s'en souvenait très bien, dans la traduction de Barsacq. Ayant sympathisé avec Floriane Bonnani, violoniste, ils voulaient ensemble travailler et mêler à ces Méfaits des pièces de Bach, Berio, et Tchaikovski. Ils m'ont demandé d'en esquisser une mise en scène. Aussitôt j'ai dit oui. À cause de Michel. De Michel dans Tchekhov. La légèreté mélancolique de l'un dans l'autre. À cause de ce mélange aussi : la grâce et la délicatesse de la musique, en trois présences féminines, et cet homme entouré de femmes qu'il craint, révère et fuit, Dom Juan dominé, à l'envers, auquel Michel apportera la grâce de sa profonde indétermination, la poésie de sa présence de vieux cheval, en rêvant à l'harmonie possible et impossible.
Denis Podalydès
Sonate n°1 en si mineur BW1014 pour violon et piano de J.S. Bach
Romance op 47 n°1 de P.I. Tchaïkovski
Sequenza VIII pour violon de L. Berio
Partita n°2 en do mineur, BWV 826 de J.S. Bach
37 bis, bd de la Chapelle 75010 Paris