Présentation
Externet
Note d’intention pour une « histoire de cour d’école »
Extrait de texte
Pour tout public à partir de 11/12 ans... Voilà 10 768 jours qu’Arthur et Gordon sont soumis à un « Programme », avec un P majuscule. Programme TV, programme informatique, programme scolaire, programme génétique… ? Peu importe ! Arthur et Gordon ne rêvent que d’une seule chose : en finir avec ce « Programme ».
Régulièrement, ils se retrouvent à l’air libre à chacune des interruptions – brèves pauses obligatoires – du « Programme ». Ils les mettent à profit pour s’inventer des voyages exotiques, des personnages loufoques, des aventures singulières, mais à chaque fois retentit l’insupportable sonnerie du « Programme » qu’ils doivent réintégrer. Jusqu’au jour où, à force de rêver d’évasions, Arthur et Gordon décident de s’emparer de la sonnerie du « Programme »…
Entre rêve et réalité, avec beaucoup de poésie et d’humour, Les sirènes préfèrent la mer aborde de façon fine et légère, la question de l’apprentissage de la liberté.
Les sirènes préfèrent la mer est une commande d’écriture faite par Maurice Yendt et moi-même à Christian Devèze, dans le cadre d’un projet européen de coopération artistique intitulé : « Histoires de cour d’école en Europe », dont le Théâtre des Jeunes Années a été co-lauréat avec six autres compagnies permanentes pour les jeunes spectateurs d’Angleterre, d’Allemagne, du Portugal, des Pays-Bas, de Suisse et de Russie.
Soutenu par la Commission Européenne, ce projet avait également pour objectif de jeter les bases d’un nouveau répertoire pour les spectateurs de 11 à 15 ans, en invitant les équipes artistiques à se confronter à un thème commun, la cour d’école, espace partagé par tous les jeunes européens. Ainsi s’explique la naissance de cette nouvelle création dont la première version, sorte de « work in progress », fût présentée à l’occasion du Festival Augenblickmal de Berlin (mai 2001) et de la Biennale du Théâtre Jeunes Publics/Lyon (juin 2001).
Aujourd’hui, devant vous, Les sirènes préfèrent la mer s’annonce comme une variation théâtrale sur le désir d’Odyssée. Deux jeunes hommes, lointains descendants d’Ulysse, sont enchaînés à un Programme, autorité de contrôle.com qui ne leur concède que de rares instants de répit. A chaque pause obligatoire du Programme – récréation !- ils réactivent leur besoin d’échanges, cultivent leur liberté de parole et fertilisent leurs rêves d’évasions. Arthur et Gordon se lancent dans une course contre la montre pour s’inventer des mondes, autres, meilleurs, jusqu’au jour où ils décident de couper le lien – cordon ombilical ?- qui les relie au Programme…
Les sirènes préfèrent la mer met en scène une tentative courageuse, ludique et intelligente pour ne pas céder à toutes les forces qui exigent de chacun d’entre nous l’abdication de son autonomie . Face à la normalisation du programme, Arthur et Gordon s’acharnent à construire des îlots d’existence, à préserver leur intimité comme une propriété inaliénable, un trésor indispensable. Leurs armes, l’imagination et le langage. C’est donc à une fête des mots et du jeu qu’ils se livrent inlassablement pour essayer d’aborder aux territoires de la liberté. Fête des mots et du jeu qui prend parfois les allures d’une rixe pour transformer les maux… en mots.
Les sirènes préfèrent la mer est un spectacle de théâtre dédié aux jeunes qui comme Arthur et Gordon, dans la cour d’école et ailleurs, éprouvent les peines et les joies de la vie quotidienne, connaissent d’intenses moments de bonheur et de souffrance, apprennent à se fixer des limites et bien d’autres choses encore, mais qui, par-dessus tout, à l’heure de la vidéo-surveillance et d’internet, restent rebelles, inventifs, vivants. Externet, en quelque sorte, pour reprendre le mot d’Alain Jouffroy.
Michel Dieuaide
Un thème de la sorte peut inciter à une approche «réaliste» où se jouerait le quotidien scolaire des élèves dans la cour d'école de leur collège. Pour ma part, je me refuse à cette interprétation restreinte du thème qui prend le risque de renvoyer aux enfants la vision fantasmée et stéréotypée qu'un adulte peut avoir d'eux.
Je préfère partir de ce qu'évoque pour moi une cour d 'école et m'appuyer sur mon imaginaire pour construire une histoire qui n'aura pas nécessairement pour cadre une cour d'école mais où, ce qui sera évoqué aura, je l'espère, des résonances avec la vie et les préoccupations des collégiens.
Pour moi, une cour d’école est un espace vide la majeure partie de la journée.
Elle s’anime, se met à vivre dans l’entre deux : entre deux cours, entre midi et deux, etc. Elle est donc très liée au temps de la récréation. Elle devient alors un espace ouvert de détente, de délassement après les occupations, les activités dites sérieuses réalisées pour la plupart dans l’espace clos de la salle de cours. Dans la cour, se vit un temps un peu hors du temps. C’est une aire de liberté où les enfants s’y retrouvent hors de la présence des adultes. Ils peuvent se raconter ce qu’ils veulent, sont livrés à eux-mêmes et y génèrent leurs propres lois. Dans la cour d’école, les groupes se font et se défont, les relations individuelles se nouent et se dénouent. C’est un lieu d’échange verbal ou matériel. C’est peut-être l’endroit où les enfants expérimentent le plus ce que vivre en société veut dire. Loin de la surveillance adulte, ils découvrent pêle-mêle l’amitié, l’amour, la solidarité, la démocratie, la violence, la loi de la jungle, la raison du plus fort, l’exclusion…
Dans la cour, les enfants retrouvent leur disponibilité originelle et sont prêts pour l’aventure jusqu’à ce que l’inéluctable sonnerie les rappelle au monde des adultes et à son ordre, les privant jusqu’à la prochaine récréation de leur liberté de penser, d’imaginer, d’agir comme bon leur semble.
J’ai l’image de ces petits crabes au bord de l’océan qui courent sur le sable entre deux marées. Pour moi la récréation, c’est comme un retour à l’air(e) libre, une parenthèse avant de réintégrer le programme. C’est une respiration collective imposée à heure fixe qui se moque pas mal des horloges internes.
Tout cela me donne envie d’un texte structuré sur la base de courtes séquences qui correspondent aux pauses, aux parenthèses dans une activité centrale quelle qu’elle soit. Si je prends l’expression «l'école de la vie», ce serait quoi la cour dans cette école ? Ce serait quoi le temps de la récréation ? Et peut-on sortir de l’alternance systématique «activité sérieuse - divertissement» ? Suffit-il seulement de sortir de l’enfance ou de l’adolescence pour échapper à cette alternance ?
J’imagine deux personnages, sans référence temporelle particulière, intégrés à un Programme. Ils se retrouvent régulièrement à l’air(e) libre lors des interruptions régulières de ce Programme que signale une sonnerie au timbre épouvantable. Ces interruptions sont pour eux comme des plages lumineuses au milieu d’un océan d’ennui. Dans cet espace de rêve et de liberté, ils donnent libre cours à leur génie ludique, échangent sur leurs espoirs de connaître un jour autre chose, projettent l’histoire de leur future vie lorsqu’ils seront parvenus à sortir définitivement du Programme.
Christian Devèze
Arthur : C'est possible !... Oui, bien sûr!... C'est possible, Gordon !
Gordon : Qu'est-ce qui est possible ?
Arthur :(toujours très enthousiaste) C'est évident ! C'est même très simple !
Gordon : Très simple, mais de quoi tu parles ?
Arthur : Il suffisait d'y penser !
Gordon :(s'énervant) Mais à quoi ? Tu vas me le dire à la fin !
Arthur : Réfléchis un peu, Gordon ! C'est la sonnerie qui commande le Programme, qui lui indique quand il doit s'arrêter et quand il doit redémarrer.
Gordon : Oui, c'est cette sonnerie de malheur et alors ?
Arthur : Alors si la sonnerie ne fonctionnait plus, le programme n'aurait plus aucune indication lui permettant de stopper ou de reprendre. D'accord?
Gordon : Je te suis, continue !
Arthur : Conclusion : Si la sonnerie devenait muette quand le programme est momentanément interrompu, alors le programme resterait définitivement hors service et l'on en serait enfin libéré !
Gordon : Qu'est-ce que tu peux être génial !
Arthur : Merci, Gordon !
Gordon : Exceptionnellement, je veux dire.....
Arthur : Merci quand même!
Gordon : Bon, qu'est-ce qu'on attend pour se débarrasser de cette sonnerie ?
23 rue de Bourgogne 69009 Lyon