d'après L'Envers du Music-hall de Colette..
"Toutes les nouvelles réunies sous le titre: L'Envers du music-hall datent
d'un temps que j'appelle heureux.
Rien ne me manquait, ni le voyage, ni la régularité de la vie, ni les bons
compagnons, ni la solitude. Je ne gagnais pas beaucoup d'argent, mais j'en gagnais juste
assez. Je travaillais sur des scènes pauvres, mais elles portaient des noms
éblouissants: l' Éden, l'Eldorado, le Palais de Cristal, l' Alcazar...
Ces nouvelles peignent le monde qui est de l'autre côté de la rampe. Je ne croie pas
qu'il ait, en vingt-cinq ans, sensiblement changé. L'héroïsme y est ingénu, la gaieté
et la mélancolie, sous l'astre froid du projecteur, y sont restées douces, ainsi que
l'exige la pureté des moeurs du music-hall.
Certaines pages datent de Marseille, d'autres de Bordeaux, de Caen et de Bruxelles...
Que faire sinon écrire, dans une chambre d'hôtel dont il ne faut pas, sous peine de
rêverie dangereuse, regarder les murs ? J'écrivais. Je porte à ce livre-ci une
bienveillance particulière: nulle part je n'eus besoin d'y mentir".
Colette, in Préface à l'édition Guillot, 1937.
Dans de courtes nouvelles Colette raconte ses années de
music-hall, lorsque elle jouait la pantomime à Paris et en tournée.
C'est la vie d'une troupe de comédiens, chanteurs, danseurs, mimes, acrobates:
ils rêvent de gloire, de reconnaissance, du grand amour, de manger à leur
faim, parfois aussi de révolte contre les dures conditions de vie que leur métier
implique. Ils "tournent", de ville en ville, d'hôtel en auberge, du Gigantic,
au Majestic, à l'Olympic, grands ou petits théâtres de music-hall à travers la France.
Colette a traversé le music-hall , elle l'a raconté et elle l'a quitté. Elle venait d'ailleurs, d'un autre monde, d'une autre classe sociale. Tout en épousant pendant huit ans les rêves, les peines et les joies de ceux qu'elle côtoyait, elle pouvait les décrire, les observer avec une douceur mélancolique , sachant qu'elle partirait sans doute, plus tôt ou plus tard, rejoindre "son" monde. N'empêche qu'elle s'y donna à fond sur les scènes, bravant les interdits, scandalisant les bien -pensants, ceux qui voyaient en elle "une femme de lettres qui a mal tourné". Elle fut l'une des premières femmes à montrer sa peau nue sur scène alors que jusque là, les danseuses et actrices portaient des vêtements couleur chair lorsqu'elle voulaient signifier la nudité. A l'époque cela fit scandale et déchaîna le critiques. L'une de ses plus célèbres pantomimes, où l'on apercevait son sein nu, s'appelait justement "la Chair".
J'ai découvert dans ce texte une Colette âpre, grave, brûlante, désenchantée, drôle. Je me suis sentie proche d'elle en tant que femme et en tant qu'artiste. J'aime cette Colette qui "cumule" plusieurs métiers, femme de lettres, femme de théâtre, créatrice de produits de beauté, journaliste... J'aime la Colette qui signe : "Colette Willy, homme de lettres et danseuse"...
En 1912, à la veille de la guerre, la précarité des emplois, l'incertitude de
l'avenir , le "chômage toujours possible", comme le dit l'un des personnages,
sont les spectres qui apparaissent derrière la gaieté et l'insouciance des chansons,
malgré la joie du
public qui remplit jusqu'au dernier strapontin des théâtres et des music-halls.
"L'Envers du music-hall" est beaucoup plus qu' un texte sur la vie des artistes en ce temps-là. Il ouvre les portes d'un monde plus vaste, il parle de nous tous, artistes ou pas, aux prises que nous sommes avec nos amours, nos angoisses, nos illusions, nos peurs et nos espoirs.
"Mon choix a été de privilégier les dialogues, les situations, les personnages et leurs rapports.
C'est la vie d'une troupe avec Colette comme fil conducteur. Mais Colette est ici une "meneuse" qui entre et sort de scène, qui se souvient, qui fait apparaître et disparaître les personnages au gré des souvenirs. Sa parole est reprise par l'un ou l'autre des personnages, selon les moments . sa présence donne la nécessaire liberté pour passer du récit au jeu, du passé au présent, du texte à la musique.
La mise en scène emprunte plutôt au cinéma ses techniques. Elle glisse,
fluide, avec des fondus-enchaînés, des travellings, des gros plans, des plans
d'ensemble, des champs, contre-champs. Un travail très pointu sur la lumière proposera
une vision comme à travers l'oeil d' une caméra, aidé en cela par une
scénographie dépouillée. Une loge qui glisse , elle s'éloigne, elle
"dépose" le comédien plus loin, nous sommes dans un autre espace. La
mise en scène s'attachera à montrer "l'envers" : les loges, les
répétitions, les coulisses.
Ce qui est "vrai", le vrai spectacle, le théâtre, est de l'autre côté: on le
devine, on le rêve.
Un rideau change le point de vue, laisse apercevoir un bout de scène, le cache; un autre s'ouvre ailleurs. La lumière délimite les espaces, les fait apparaître et disparaître, comme dans les rêves. Je privilégie une atmosphère onirique, loin du naturalisme et du réalisme.
L' "endroit" existera dans l'environnement sonore, tantôt réaliste, tantôt onirique, créé par la bande-son. La bande-son crée un autre espace: on peut voir autre chose que ce que l'on entend, exactement comme au cinéma. Cela permet l'existence de plusieurs plans: par exemple on assiste aux répétitions d'un numéro de mime, tandis que l'on entend la chanteuse sur scène et plus loin les bruits de la rue, le train qui les emmène pour la tournée, des bribes de conversation.
Le ton du spectacle sera un mélange de gravité et drôlerie. Je voudrais un spectacle léger et profond à la fois; proche, émouvant, simple, qui fasse réfléchir à la vie, à nos vies, et qui soit de bout en bout une source inépuisable de plaisir."
Susana Lastreto
20, avenue Marc Sangnier 75014 Paris