Avec ses cinq comédiennes grimées en Beatles de pacotille, Céline Champinot revient pour la troisième fois au Théâtre de la Bastille pour faire s’entrechoquer carnaval pop et récits fondateurs.
Avec Vivipares (posthume) brève histoire de l’humanité (2016), tout commençait dans un garage, en compagnie de David Bowie et de Charles Bukowski, et s’achevait en Arche de Noé pneumatique où s’égrenaient les espèces disparues. Dans La Bible, vaste entreprise de colonisation d’une planète habitable (2018), cinq scouts se plaignaient à Dieu puis, devenus androïdes, montaient dans leur vaisseau spatial et partaient soumettre la galaxie et tous ses êtres vivants.
Plutôt que de fouiller les astres, Les Apôtres aux cœurs brisés préfèrent s’enfouir sous terre. La pièce se déroule ainsi dans une caverne, club mythique de Liverpool où débutèrent Platon et les Beatles. Mais c’est peut-être aussi le ventre d’une baleine, une décharge informatique ou un studio d’enregistrement antiatomique aux murs recouverts de champignons hallucinogènes.
Vivant reclus, les Apôtres célèbrent la mort du leader de leur boys band – un certain Jésus – et rejouent leurs vieux tubes sur un clavecin travesti en piano électrique. Ils sont comme les répliques en carton-pâte d’un groupe pop autrefois adulé. Des imitations crachées par une photocopieuse irradiée.
Prisonniers de leur propre fiction défectueuse, les personnages rêvent de détruire leurs doubles pour aller voir ce qu’il y a dehors. Mais quel monde les attend à l’extérieur? Qu’y a-t-il hors de la caverne, derrière le puzzle pixélisé de la représentation? De reflet en reflet, d’illusion en illusion, peut-être parviendront-ils à distinguer quelque chose de la vérité. Comme si dans le pastiche résidait l’espoir d’un dévoilement. Comme si, à force d’imitations, les traces d’une utopie pouvaient se manifester.
En attendant, les Apôtres bricolent sur scène une radio clandestine. Ils diffusent des fictions absurdes, des messages spirituels et des poèmes publicitaires pour le compte de la République. La langue de Céline Champinot procède de la même manière : par collages intempestifs, par glissements de genres et de sens. Son écriture est un organisme hybride dont les cellules se dupliquent et mutent à une vitesse folle. Jouant des frontières poreuses entre virtuel et réel, elle pirate à la source nos imaginaires parasités.
Victor Roussel
76, rue de la Roquette 75011 Paris