Fidèle à sa réputation de paléoanthropologue des contes de fées, Jean-Christophe Maillot décape Cendrillon de sa couche de sucre et livre une réflexion poignante sur la manière dont le souvenir des personnes disparues façonne l’avenir de celles qui restent.
Le thème du Prince épousant la roturière (machine à espoirs et désenchantements pour des générations entières) n’est plus le fil conducteur du ballet. Le chorégraphe lui accorde peu de place et préfère se concentrer sur les rouages affectifs qui créent la mécanique pulsionnelle de ce conte intemporel.
Au-delà d’une réflexion sur le deuil, Cendrillon de Jean-Christophe Maillot est une peinture drôle et féroce d’une société dégoulinante d’artifices où la quête du plaisir ôte à ceux qui s’y adonnent le sens des réalités. La distraction effrénée y est proportionnelle à l’oisiveté et les deux Surintendants du plaisir du palais ne sont pas de trop pour divertir une cour moribonde, asphyxiée par l’ennui. Jean-Christophe Maillot insuffle à ces deux personnages emblématiques un mouvement qui leur est propre. Chaque pas, chaque sautillement reflète l’emphase surexcitée, la surenchère et l’injonction au bonheur qu’ils proclament à chaque instant.
Leurs visages figés en un sourire idiot et leurs gestes mécaniques en font des pantins du plaisir. Dans ce monde où l’on joue à vivre, les êtres de chair sont sur le point de disparaître. Les quatre mannequins qui apportent les robes de bal et animent un théâtre de marionnettes en sont les ultimes avatars.
À l’opposé, Cendrillon incarne la simplicité (concept qui a orienté la scénographie d’Ernest Pignon-Ernest). Elle n’a nul besoin d’accessoires pour être belle et même la fameuse pantoufle de vair est ici remplacée par un pied nu recouvert d’une fragile et éphémère poudre d’or. Le pied nu de Cendrillon devient l’objet symbolique du ballet. Il symbolise non seulement la simplicité et le dépouillement de la jeune fille mais également cette partie du corps sans laquelle la danse ne peut exister. Le pied est le pivot de l’art chorégraphique, son appui, son élan, son envol et sa survie.
Enfin, entre Cendrillon et cette société qui triche, il y a Le Prince, cloîtré dans son palais, végétant dans l’attente d’une existence plus concrète. Ne connaissant que la flatterie et la dissimulation, il ignore le vaste monde. Tout glisse entre ses mains. Il ne peut se rattacher à aucun souvenir parce qu’il n’a jamais véritablement vécu. Spectateur de sa propre vie, il se situe à mi-chemin entre le réel et le néant. Ses moments d’abattement sont différents de ceux de Cendrillon mais ils témoignent, eux-aussi, d’une aspiration à vivre autre chose. La Fée lui bandera les yeux pour qu’il reconnaisse un amour sans fard et il devra quitter son monde pour retrouver celle qu’il aime. Ainsi le salut de Cendrillon ne réside pas dans l’ascension sociale que lui offre son futur époux. C’est au Prince d’abandonner son palais et c’est encore à lui de se prosterner « aux pieds » de sa bien-aimée. Alors seulement, les amants pourront cheminer ensemble et planter leurs dents dans le monde qui s’offre à eux. La Mort n’est plus odieuse. Les défunts les accompagnent. Et ils vécurent heureux…
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