Il faut au moins ça : organiser un repas avec maître d’hôtel très stylé et chanteuse debout sur la table, pour rire de la fin de Lear, grand amour, grand ami, mort fou. Mais à cet étrange repas le défunt se bâfre avec les autres. Il participe avec délectation au récit de ses derniers instants, extinction des feux avec perte des repères et des liquides corporels. Et ça le fait rire, son corps qui lâche, les trente et un kilos, la débâcle organique. Et Pylade, l’ami, l’engueule de ne plus dire que des bêtises, et Pénélope, l’épouse, fait semblant de tenir bon en choisissant la taille du cercueil... Ça le fait bien rire aussi. L’humour ne conjure pas le sort, il le provoque. La poésie crue met à distance la tragédie de l’inévitable et la décrépitude qui va avec.
Après Aglaé, création et reprise au Rond-Point les deux saisons passées, l’auteur et metteur en scène Jean-Michel Rabeux transcende une histoire vécue. Il honore les forces de l’amitié et de l’amour, même vaines dans le combat contre la maladie et le temps assassin. Il faut savoir crier, pleurer, exploser d’une hilarité salvatrice dans la chambre des derniers instants. Ils ne s’en privent pas. Seuls les éclats de rire permettent encore de survivre à la lucidité, à l’inéluctable. La scène, cathédrale des artifices, met à nu la plus terrible des vérités, jusqu’à la grâce.
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