Lili 54-82 : un roman photo, est une pièce de théâtre écrite en plan séquence.
L’histoire se déroule en 1982, vingt ans après l'indépendance, dans un petit hôtel des environs d’Alger. Les deux protagonistes, Julien, un intellectuel de retour en Algérie, et Leila, impliquée autrefois dans la résistance algérienne, se retrouvent, convoqués par celui qu’ils appellent « le Professeur » et qu’ils attendent, sans savoir vraiment pourquoi il leur a demandé de venir.
Chacun cherche l’autre et se cherche au cours d’étranges dialogues qui, à chaque séquence, sont provoqués par d’anciennes photos d’où surgissent, dans le réel de l’instant, d’autres personnages, perdus de vue. Et, avec eux, les souvenirs de la guerre et ceux de leur intimité passée, sur lesquels plane le fantôme de Lili. De ces retours en arrière fragmentés, émerge une histoire, celle de leur amour et celle de la guerre, celle de ce que la guerre fait à l’amour, et de ce que le temps fait aux êtres quand l’amnésie est leur seul recours face à la perte et au mensonge.
« - J’aurais dû
- C’était perdu d’avance
- Nous aurions pu
- Avec la guerre, il n’y a rien à faire
- Se laisser faire
- Elle décide pour toi. Elle décide de tout
- Mais on ne sait pas ce qu’elle veut. Ce qu’elle veut de nous
- On ne sait pas ce qu’il faut faire pour lui survivre »
(Extrait du spectacle)
Par la compagnie ARCAT.
Lili 54-82... de quoi parle la pièce ?
Luc Boltanski : La pièce est inspirée de Sylvie, une nouvelle de Gérard de Nerval, publiée en 1853, un an avant sa mort. J’avais envie depuis longtemps de l’adapter pour le théâtre, en la déplaçant dans un contexte historique différent. La structure et la thématique de Sylvie et de Lili sont similaires, dominées par ce qui est central chez Nerval, des retours dans le passé qui envahit le présent et se projette dans un futur imaginaire, et aussi par la figure obsessionnelle du double, incarnée dans la pièce par Lili, un personnage qui n’est qu’évoqué et dont l’image se confond pour Julien avec celle de Leila. J’ai essayé de transcrire pour la scène cette structure composée de suites de retours en arrière, et de retours en arrière dans des retours en arrière, ce qui fait qu’on ne sait jamais très bien dans quel temps on se trouve. Mais, tout en conservant également les principaux personnages de Sylvie, je les ai transposés dans un cadre historique qui m’était en partie dicté par ce que je savais de la vie de Murielle, et de celle de ses parents, celui de la guerre d’Algérie.
Murielle Bechame : C’est aussi lié à ton histoire ?
LB : Oui aussi. Une histoire dans laquelle a baigné mon adolescence, bien que j’étais trop jeune pour être incorporé et envoyé en Algérie. Après avoir écrit la pièce, et sur le conseil d’amis à qui je l’avais fait lire, j’ai vu Muriel le magnifique film qu’Alain Resnais et Jean Cayrol, ont réalisé en 1963 autour de la guerre d’Algérie en tant que traumatisme à la fois personnel et collectif. Et je m’y suis complètement reconnu, comme si je l’avais déjà vu.
MB : Alors qu’on est dans un mélo, une histoire d’amour… On est au cœur de la destruction de deux personnes qui luttent pour se retrouver, s’aimer et aussi pour se reconstruire sans y arriver, jamais.
LB : En effet, j’ai voulu reprendre la forme du mélodrame, si importante au XIX° siècle et encore bien représentée, à l’époque où se passe la pièce, en 1982, par le roman-photo. Mais cette histoire d’amour entre deux êtres singuliers – Julien et Leila -est aussi une histoire collective et politique. Leila est algérienne, de bonne famille, étudiante au moment des “événements” - comme on disait à l’époque -, et, dans les dernières années de la guerre, quand la violence s’intensifie, elle parvient à lui échapper en venant à Paris, avec l’aide du professeur. Son parcours croise celui de Julien, qui est aussi étudiant à l’époque. D’origine juive, il s’est engagé contre la guerre d’Algérie dont la violence fait ressurgir en lui les récits, qui le hantent depuis l’enfance, de proches ayant été torturés ou dont la famille a été exterminée. Dans les paroles qu’échangent Leila et Julien se croisent ainsi deux mémoires qui ont en commun ces blessures infligées par la guerre. La question posée par la pièce est celle des survivants : comment survivre aux guerres, même quand on leur a survécu, au moins physiquement.
Vous avez des liens, tous les deux, avec l’Algérie ?
MB : Ma mère est algérienne. Je suis née à Alger. De par mon histoire, je n’ai jamais eu le courage de m’intéresser à la guerre d’Algérie. Je pense aussi que c’est ce qui a fait que, en 2010, lorsque la pièce m’a été proposée, je n’ai d’abord pas souhaité m’approcher de ce sujet. Dans Si c’est un homme, Primo Levi parle de la force des bourreaux, qui est de compter sur le silence de leurs victimes.
Et pourquoi maintenant ?
MB : Parce qu’avec la montée de l’Extrême droite, et sa banalisation, le regard porté sur les autres, sur ceux qui sont stigmatisés comme les « étrangers », les « migrants » ou les « déviants », a commencé à devenir insupportable, lourd de réactions qui inquiètent. Et les processus d’amnésie n’ont fait que s’accentuer, comme s’il était impossible de regarder l’histoire en face. Or, la mémoire du passé, même dans ses aspects les plus injustifiables, est l’un des seuls moyens dont nous disposons pour éviter le retour du pire. Lili 54-82 parle de cette amnésie et de ses effets. La pièce les expose dans ses dimensions humaines, à travers deux destins personnels et donc singuliers. Mais, ce qu’elle met en question, c’est la violence, et les effets collectifs de la violence.
LB : S’il y a une idée dans la pièce, c’est bien que, dans une guerre, tout le monde en sort perdant.
Comment met-on en scène un sujet aussi abstrait que la mémoire ?
LB : C’est la photo. De nos jours la mémoire, c’est la photo. Même sur les tables de nuit des grands de ce monde, dont dépend notre futur collectif, c’est-à-dire, politique, on trouve une accumulation de photos de famille, qui sont les supports et les traces des mémoires personnelles.
MB : Quand j’ai commencé à travailler sur ce projet, je me suis demandée comment traiter la question de l’amnésie et du rapport au temps, qui est très particulier dans cette pièce. Comment on peut traverser des strates de mémoire et qu’est-ce qu’il en reste aujourd’hui, parce que tous ces gens qui ont été appelés en Algérie, sont en train eux aussi de disparaître. Il n’en reste que des albums photos et encore, ils sont d’une grande banalité, comme le sont, par exemple, ces photos de gens sur la plage à Alger… alors qu’on est au plein milieu de la guerre. L’une des choses qui m’a intéressée, a été celle des traces de ce conflit, de la façon dont cette réalité s’est donnée à voir ou à ne pas voir.
Le thème de la guerre d’Algérie reste un grand tabou en France, comment aborde-t-on un sujet aussi délicat ?
LB : On dit souvent qu’un des problèmes de la société française est sa difficulté à digérer son passé. Mais c’est peut-être en train de changer. Pour ce qui est de la guerre d’Algérie, les mémoires s’ouvrent, parce que les enfants ou les petits enfants, qui ne l’ont pas directement vécue, prennent la plume et la parole. Tandis que ceux qui en étaient sortis traumatisés ne voulaient pas, ne pouvaient pas en parler.
MB : Et on ne leur demandait pas d’en parler. Personne ne voulait en entendre parler
Un spectacle linéaire, des mémoires enchainés autour de la figure de Lili. Un portrait de ce qui a été la guerre, flou ou voilé, le récit des acteurs met en scène un drame dont il faut en parler, de plus en plus.
Magnifique spectacle! Parallèles et paradoxes entre les deux personnages. Encrés sur cette terrible guerre d'algérie. Des photos sur des voiles de tules, une maman constamment présente,en silence. Onirique et magnifique... Chapeau et merci! Cyrille Picco
Pour 2 Notes
Un spectacle linéaire, des mémoires enchainés autour de la figure de Lili. Un portrait de ce qui a été la guerre, flou ou voilé, le récit des acteurs met en scène un drame dont il faut en parler, de plus en plus.
Magnifique spectacle! Parallèles et paradoxes entre les deux personnages. Encrés sur cette terrible guerre d'algérie. Des photos sur des voiles de tules, une maman constamment présente,en silence. Onirique et magnifique... Chapeau et merci! Cyrille Picco
Cartoucherie - Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris
Navette : Sortir en tête de ligne de métro, puis prendre soit la navette Cartoucherie (gratuite) garée sur la chaussée devant la station de taxis (départ toutes les quinze minutes, premier voyage 1h avant le début du spectacle) soit le bus 112, arrêt Cartoucherie.
En voiture : A partir de l'esplanade du château de Vincennes, longer le Parc Floral de Paris sur la droite par la route de la Pyramide. Au rond-point, tourner à gauche (parcours fléché).
Parking Cartoucherie, 2ème portail sur la gauche.