Littoral au festival d'avignon, 1999
Septième pièce du libano-québécois Wajdi Mouawad, littoral a encore toutes les qualités d'une oeuvre de jeunesse. Une fougue inaltérable, la vitesse préférée à l'équilibre, et la dépense ostentatoire. Cela gicle de toutes parts et sans cesse, sur tous les tons, flot inépuisable et nécessaire pour alimenter le cours d'une pièce fleuve - moins encore par la durée que par la densité de ce qu'elle brasse, sans affecter d'y toucher...Armés en tout et pour tout de quelques chaises dépareillées qui valsent au premier son de violon, les huit comédiens sont parfaitement distribués, inventifs jusqu'aux bouts des ongles, graves et joyeux, capables de changer en un tournemain de personnages, ce qui fait beaucoup de monde à courir le monde pour y trouver enfin le repos de la pleine mer, la seule patrie libérée des mesquineries familiales, des guerres tribales ou nationales, à laquelle morts et vivants, intimement mêlés, aspirent.
Jean-Louis Perrier. Le Monde
"Avancer toujours, même si on n'y croit plus. Avancer malgré la perte du but, avancer malgré la raison qui nous fige, nous immobilise, malgré la futilité que l'on découvre même dans ce que "Avancer" veut bien signifier. Avancer même si on a perdu toute fierté, toute capacité à espérer. Avancer."Wilfrid est un jeune homme seul, libre, heureux. Ce qui l'inspire : le monde, le sexe, la beauté, le rêve. Vivre sa vie ou la rêver, pour lui, c'est du pareil au même. Il avance dans la vie comme "un voyageur frappé par une soudaine étourderie et qui ne sait plus rien de son trajet." Pourtant, ce jour là, quand il apprend, en plein ébat amoureux, la mort de son père, sa vie le rattrape. Et son passé aussi. Ce père inconnu qui l'a abandonné à sa naissance, revient soudain pour lui parler. De sa mère, morte en accouchant de lui. De ses cousins, restés "là bas", au pays où les nuits, malgré la guerre, sont si douces, caressées par le vent marin. Avec le cadavre de son père, qu'il lui faut enterrer, il fera le voyage qui le mènera à ses origines, à sa vérité. De "Ici" à "Hier", de "Là-bas" au "Littoral". Pièce fleuve, récit initiatique, "Littoral" explore magnifiquement tous les chemins de la mémoire. "Ma mémoire est une forêt dont on abat les arbres" dit le héros. D'où vient-on ? Pour quoi, pour qui vit-on ? Wilfrid est sans arrêt chahuté entre l'Ouest et l'Est, le présent et le passé, l'amour et la mort, la mer et la mère. Mort, son père est plus vivant que jamais. Où l'enterrer ? Qui est-il ? Qui est ce mystérieux réalisateur qui le suit avec sa caméra ? Et si son existence n'était qu'une fiction ? D'où vient ce chevalier de contes de fée, descendu par miracle de son château fort ? La pièce, qui brouille à plaisir les pistes, ne donne jamais de réponses. Dans une langue qui mêle le lyrisme et la dérision provocante, la poésie et la grivoiserie, le spectateur est tenu en haleine par une histoire qui pourrait être la sienne, mais qui ne ressemble en tous cas à aucune autre. Littoral propose une immersion dans ce que le théâtre peut proposer de plus humain, de plus charnel, de plus essentiel. "Le rêve, dit le chevalier à Wilfrid, est au cur de la vie. Nous rêvons notre vie, et nous vivons nos rêves. Regarde-moi. Je suis ton rêve, tu es ma vie."Découvert au Festival des Francophonies de Limoges 98 avec "Littoral", Wajdi Mouawad a débarqué sur les scènes française comme un boomerang, "Littoral" aura été joué au Festival d'Avignon 99 et partira en tournée dans toute la France, avec un arrêt prolongé à Malakoff.A 31 ans, l'auteur, par ailleurs comédien et metteur en scène, fourmille de projets. A Montréal où il travaille, il vient de se voir confier la direction du théâtre de Quat'Sous, l'une des scènes les plus respectées du Québec. Mais, celui qui a vécu successivement au Liban et en France, ne sait toujours pas de quoi seront faits ses lendemains.
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