Intentions
Loin d'Hagondange
"Un scandale par omission"
Faire bleu
"Faire Bleu", extrait
Revue de presse
Loin dHagondange
Cette pièce fondatrice du "nouveau réalisme" ou "théâtre du
quotidien" a été créée en Avignon à Théâtre Ouvert, puis à la Comédie de
Caen en 1976 dans une mise en scène de l'auteur. Elle reçoit alors le Prix de la
Critique. Patrice Chéreau la monte en 1977. Elle sera jouée dans plus de vingt pays,
traduite en dix-huit langues.
Vingt-trois ans après la création de sa pièce, devenue un "classique de la
création contemporaine", Jean-Paul Wenzel la met à nouveau en scène.
La pièce raconte la vie d'un couple d'ouvriers après une vie de travail dans les
aciéries d'Hagondange. Une retraite qui se voudrait paisible, mais que faire de cette
"vacance" quand on n'y est pas préparé ?
"Faire bleu"
"Vingt-cinq ans après avoir écrit Loin dHagondange, je suis retourné à Hagondange et jy ai vu le parc Schtroumpf, installé sur lancien site des mines. Les enfants des sidérurgistes y travaillent et ont endossé le déguisement des petits bonshommes bleus. Jai donc écrit Faire bleu .
Avec ces deux pièces je veux mettre en regard lhistoire de ces deux couples douvriers et leur manière dencaisser le choc dune vie vouée presque entièrement au travail et rendue à la "vacance" à laube de la vieillesse. Linquiétude, le désarroi voire les déflagrations visibles et invisibles que cela provoque dans leur vie de tous les jours, dans la conscience quils ont deux-mêmes, de lautre, du temps quil leur reste à vivre... de linfini."
Jean-Paul Wenzel (fév. 2000)
En 1998, Jean-Paul Wenzel a écrit "Faire bleu" comme un écho à Loin
dHagondange. Un quart de siècle plus tard, le quotidien semble sêtre
modifié, le temps de la retraite aussi, et pourtant loccupation de ce "loisir
obligé" que sont la retraite ou la préretraite reste souvent douloureuse.
Il ne sagit pas tant de sappesantir sur la retraite que de "traiter"
à nouveau le quotidien par cette écriture apparemment "simple" où chaque mot
compte, pour sous le naturel découvrir linsolite, comme le suggérait Brecht. Dans
"Faire bleu" lusine dHagondange est devenue "parc de loisirs
avec Schtroumpfs" et la passion de la vidéo a supplanté le besoin de reproduire
latelier à la maison...
Dans cette nouvelle production, les deux pièces sont créées en diptyque de façon à respecter le processus décriture :
Une même structure mobile construite spécialement abrite lespace scénique et lespace public. Ce dispositif, conçu et réalisé par Napo, se déplace avec le spectacle, quelle que soit la salle dans laquelle il est accueilli. Les deux pièces - courtes - sont ainsi jouées en tous lieux dans les mêmes conditions pour les spectateurs et pour léquipe de création.
Les trois mêmes acteurs Olivier Perrier, Monique Brun et Sandrine Tindilière jouent dans les deux pièces, dont la construction littéraire est volontairement similaire.
La scénographie de François Mercier tient évidemment compte de cette similitude (dans la différence) et propose un espace modulable entre les deux pièces.
Voici une courte pièce que jai lue dabord, puis que jai vue dans une très belle mise en scène de lauteur, et dont la force ma bouleversé. Puissé-je parvenir à transmettre cette émotion: cétait comme une protestation devant le vieillissement des corps et devant lidée même de la retraite, cétait comme un refus de ces deux êtres qui ne savent pas quon peut se révolter, qui ont dépensé leur vie à payer très cher le temps quils pourront passer plus tard à bien vivre, et qui nosent pas découvrir quil ny a plus rien à vivre, que cétait avant quil fallait vivre. Il sagit dune pièce terrible, parce quelle nest ni cruelle, ni sentimentale, ni pathétique. Cest une histoire comme des milliers dautres, lhistoire de deux personnes qui nont pas dhistoire deux personnes comme on en voit peu au théâtre : les auteurs les convient rarement sur un plateau ; quant aux salles, elles ny entreraient jamais.
Ce texte pose des questions sur la vieillesse. Non pas sur le vieillissement provoqué par tel métier, tel mode dexistence, mais, dune manière plus large, sur ce quil faut faire quand tout se met à péricliter, à dépérir. Voici deux êtres qui ne savent que reconstruire ce quils ont déjà vécu. En même temps, ils sont poussés par des révoltes quils ne peuvent pas exprimer. Ils sont dévorés par le désir de vivre, mais rien nest gênant comme les gens qui saccrochent à lexistence : tout est ordonné pour que mangeant, dormant ils ne fassent que survivre. Ils ne sont pas les plus malheureux, ni les plus misérables, ni les plus fous : cest une détresse au fond très normale. Voilà le plus terrible, car cest là quapparaissent des vérités que lon se cache quand on n'est plus jeune, et qui, ensuite, vous écrasent.
Patrice Chéreau (Extrait de la préface du programme de création de Loin dHagondange au TNP Villeurbanne, 1977)
Ils ont été mis à la retraite anticipée, une façon édulcorée de dire que la grosse machine à rythmer les vies et à les broyer les a recrachés tout crus, un matin de "plus besoin deux"!
Depuis, ils essayent de combler le temps entre la morne répétition de rituels quotidiens et les "secousses" de vie, de désir, dautodestruction, daspirations vers le grand tout ou le "grand rien" qui les agitent, et par lesquels ils parlent encore, eux qui ont passé leur vie à se taire.
Alors, ce quon entend peut-être dans les signaux quils lancent, cest leur désarroi et leur humour de la vie, leur attachement et leur détachement vis-à-vis des choses et vis-à-vis deux-mêmes, leur "insoutenable légèreté" comme leur pesanteur à être, leur aveuglement, comme leur lucidité, leur cruauté comme leur tendresse, leur tentative éperdue à vouloir représenter encore quelque chose pour eux-mêmes alors quils ne représentent déjà plus rien pour les autres...
Ils ont une façon pathétique et impayable de "sintéresser", lui aux films de science fiction, au progrès des outils de communication, au mystère de lunivers, au voyage sidéral, elle au monde des animaux, aux images de pays qui "dépaysent", aux rêves de voyages lointains...
Le monde du travail qui continuait à obséder le retraité Georges, dans Loin
dHagondange, au point de se refaire un atelier dans son garage avec horaires de
travail, obligations de rendement et grands coups de marteau sur lenclume, ce monde
du travail dans « Faire Bleu » est pulvérisé, renvoyé pompeusement par André
lui-même à une sorte de préhistoire : "Lère des loisirs, de
linformatique, du cathodique a balayé lère industrielle. On ne la pas
vue venir."
Alors, les voici cabotant entre naissance et fin du monde, antenne parabolique et
étoiles, chambre dhôpital et extension de lunivers, cassettes pornos et
big-bang, catalogue de voyages touristiques et pressentiment du dernier...
Arlette Namiand
Scène 9, extrait :
André : Il neige sur toute lEurope
Le début du refroidissement
Ma
tête grossit, elle craque
Lucie : Nécarquille pas les yeux comme ça, tu me fais peur.
André : Ils sécartent
Ne regarde pas.
Lucie : André !
André : Mes jambes
rétrécissent.
Lucie : Bien sûr, tu ne fais pas dexercice.
André : Mes doigts
sallongent. (Il enlève ses chaussures et ses
chaussettes.) Mes muscles
fondent. Mes doigts de pied se racornissent. Déjà,
longle est tombé.
Lucie : Cest la vieillerie
André : Je peux voir de là à là
(Avec son doigt, il indique un angle de plus de
180°) Je peux penser cent choses à la fois
très distinctement
Je vois le
futur
Je suis le futur
Lucie : Arrête
mange.
André : Tu ne comprends pas, je prends les devants
Tu assistes à une
étape
de lévolution
Nous ne sommes pas finis
Jai mal
Mes membres
sengourdissent
Lucie, les Martiens nexistent pas
Cest
nous
un vingt-quatre décembre
Lucie : André
André, tu plaisantes
Quelle tête tu as
Mon Dieu
Calme-toi
respire
Jappelle le docteur
(André se lève, renverse la chaise, disperse les peluches, sort en titubant.)
André : Le processus est entamé
Quon ne me dérange pas
Il faut
laisser faire la nature.
(Lucie compose un numéro, attend, long silence.)
Lucie : Bien sûr
Personne
Savoir sil plaisante !
Qui appeler
maintenant, tous les docteurs fêtent Noël
(Elle est désuvrée, ramasse les
peluches, relève la chaise lentement, finalement sassied et mange le repas de Noël
avec les doigts, puis dit, au bout dun long moment ) Allons-y pour la transformation
des corps.
Noir
Lui : Lunivers est infini
Elle : Demain je fais du poisson
"Les deux pièces - les deux époques - couvriraient-elles le même dessein ? Sous
le glacis gris acier pour l'une, sous aquarelle bleu-rose fluo pour l'autre ?
En passant du grave au dérisoire avec la même sincère franchise, les guides,
chevronnés, Monique Brun et Olivier Perrier, posent la question sans façon et s'amusent
- beaucoup - à ne jamais y répondre." (Le Monde)
"Acteur d'une étoffe rare, Olivier Perrier donne une vérité déchirante à cet homme qui finit par perdre pied. Monique Brun se glisse avec autant de bonheur dans la peau d'une femme de bon sens dépassée par les événements. Wenzel fait l'état des lieux de l'époque avec des mots simples mais d'un brûlante justesse (...)." (Télérama)
place Briet Daubigny 60200 Compiègne