Avec la voix de Pierre Bellemare.
Présentation
L'histoire
La Compagnie du Goudron et des Plumes
Los Enfermos est la première création en France d’une pièce d’Antonio Álamo, auteur espagnol contemporain. Un autre texte Los Burrachos a été publié en mars 2002 aux solitaires intempestifs à l’occasion du festival Mira.
L’originalité de Los Enfermos réside dans sa dramaturgie. Les trois actes imaginés par Álamo sont construits avec assez de vraisemblance historique pour les rendre crédibles. Cependant Los Enfermos n’est qu’un fantasme. Le théâtre habituellement donne vie à des personnages, or il s’agit ici de redonner vie à des morts pour interroger les vivants sur ce qu’est le souvenir d’un souvenir et surtout ce qu’est le souvenir d’une chose oubliée. Deux questions au cœur même de toute pensée historique ?
Dans les notes relatives à Los Burrachos, il est dit que la pièce est inspirée de faits historiques. Le dictionnaire et le sens commun les définissent comme véridiques ou réels. Pourtant chaque fois que nous écrivons le mot « véridique » ou « réel », un instinct de précaution nous pousse à étouffer le mot entre guillemets. C’est ce même paradoxe qu’Antonio Álamo a voulu creuser avec Los Enfermos. Les deux pièces forment un diptyque non seulement sur la seconde guerre mondiale mais sur la notion ambiguë de vérité. C’est pourquoi, on pourrait également dire que cette pièce n’est ni historique ni réelle, si ce n’est que l’histoire est devenue une sorte de fiction.
Inspirée de faits historiques précis, Los Enfermos donne à voir successivement trois agonies : celle d’Hitler, Churchill puis Staline. Cependant aucune connaissance particulière de l’Histoire n’est requise afin de suivre l’intrigue. L’ambiguïté de cette œuvre est d’ailleurs encore plus percutante vis-à-vis de ceux qui ne possèdent aucune connaissance des faits et qui par conséquent n’ont de cesse de se demander si cela a vraiment eu lieu. Leur curiosité intellectuelle est ainsi perpétuellement sollicitée.
L'une des principales qualités dramaturgiques d’Antonio Álamo consiste à savoir placer le spectateur dans une position d’observateur privilégié. Aucun individu n’a pu, à l’époque, assister à ces événements d’une importance capitale. Le caractère secret que revêt chaque scène fait donc du spectateur un témoin unique, ce qui renforce son intérêt. En osant créer ainsi un climat de suspens, Antonio Alamo rend à l’apprentissage son caractère ludique.
Les personnages de Los Enfermos nous renvoient aussi à notre faculté de produire des schémas. Accoutumés à voir des situations imaginaires, l’insurrection de ces morts nous surprend. Bien que convaincus d’assister à une fiction, nous avons l’intuition que quelque chose de vrai se manifeste à travers l’humour féroce d’Antonio Álamo. Dans une société où tout est prétexte à se souvenir et rarement à s’interroger, l’auteur nous force ainsi à dépasser la fascination morbide et à réfléchir sur la récupération du mythe.
Au-delà d’une narration de la seconde guerre mondiale, c’est donc tout un processus humain et politique qui est mis à jour, ce qui permet de relier l’action au présent et d’ouvrir nombres de discussions sur les gouvernements actuels et la désinformation. Kroutchev avait-il raison de croire que « l’histoire n’a pas besoin du passé » ?
Pourquoi le choix de ce nom qui évoque plus les sanctions punitives du Far West et ses bandits repentants qu’une activité théâtrale ? C’est peut-être cette image d’une silhouette empêchée par le goudron et tentant, malgré tout, de voler grâce aux plumes qui nous a plu. Et puis pourquoi ne pas concilier la grâce des plumes à la trivialité du goudron, ce qui nous semble assez représentatif de notre époque.
La volonté de cette compagnie est de promouvoir le théâtre contemporain et la création sous toutes ses formes. Cette part de liberté que nous offre le théâtre contemporain nous permet d’engager la traduction de pièces étrangères inédites en France, notamment avec Los Enfermos d’Antonio Alamo, mais aussi de faire de La Compagnie du Goudron et des Plumes un lieu d’expérimentations diverses : théâtralisation de témoignages bruts, mise en valeur du patrimoine afin de favoriser un travail de proximité, confrontation de plusieurs disciplines (théâtre et art plastique pour Los Enfermos, théâtre et musique pour l’Ancre de miséricorde, théâtre et danse pour On dormira quand on sera mort).
78, rue du Charolais 75012 Paris