La complexité et l'ambiguïté des relations humaines
Note d'intention du metteur en scène
Une pièce de guerre
Une pièce trouble et troublante
Une pièce hétérogène
Une pièce en suspension
Tragédie naturaliste – 1888
La nuit des feux de la Saint-Jean, une jeune aristocrate et le domestique de son père se jouent du rêve et de la réalité pour descendre dans les enfers de la séduction. Abîmés par la musique, enivrés par la danse, saoulés par les chants, ces deux êtres que tout sépare iront au bout de leur transe pour vivre pleinement leur quête de liberté. Cette nuit marquera cet instant de subversion où les barrières des classes de la société sont provisoirement abolies. Les codes sont inversés…
Ecrite en 1888, Mademoiselle Julie est une pièce qui confronte les personnages dans la contradiction de leurs désirs : entre répulsion et attirance, domination et soumission, haine et fascination.
Jacques Vincey a débuté par une carrière de comédien sous la direction de Patrice Chéreau, Bernard Sobel, Robert Cantarella ou André Engel (avec lequel il a travaillé comme assistant à deux reprises à l'Odéon). Avec la compagnie Sirènes, il a mis en scène Gloria de Jean-Marie Piemme (Avignon 2001) et récemment Le Belvédère de Ödön von Horváth (CDN de Gennevilliers).
Pour cette nouvelle création, il s'est entouré de grands comédiens qu'il amène à s'approprier la matière même de la langue, à dépasser l'anecdote et la sentimentalité, à faire résonner toute la violence et la crudité de la réalité. Une profonde réflexion sur la complexité et l'ambiguïté des relations humaines.
Guerre des sexes qui s'attirent et se repoussent sauvagement.
Guerre des cœurs et de la raison.
Guerre des cerveaux engagés dans une lutte à mort pour la domination.
La pièce démarre pourtant dans l'euphorie de la fête de la Saint-Jean. Julie, fille du comte, danse avec les paysans et les domestiques. Dans la cuisine, Jean et sa fiancée Christine critiquent l'attitude de leur maîtresse. Julie fait irruption et séduit Jean. Jean couche avec Julie.
L'ordre des choses est bouleversé : il faut inventer de nouvelles règles. Faut-il partir ? Faut-il rester ? Qui doit obéir à qui ? Qui est le maître et qui est l'esclave ? Julie exige de Jean qu'il lui ordonne de se trancher la gorge.
Strindberg s'inspire d'un fait divers et le hisse jusqu'à la tragédie. Il puise dans les petites histoires la matière brute qu'il passe au tamis de sa sensibilité et de son intelligence pour en restituer l'essence fondamentale. Le concentré ainsi obtenu est puissant et dangereux. Il déstabilise plus qu'il ne rassure. Il ne résout rien, n'explique rien. Une fatalité pèse sur ces personnages qui se heurtent désespérément aux conventions et qui perdent définitivement leurs illusions dès lors qu'ils réalisent leurs rêves :
"J'ai laissé les cerveaux travailler d'une façon irrégulière."
Strindberg décrypte la réalité avec une rage et une lucidité qui ne s'embarrassent pas de cohérence. La confusion, la pluralité de points de vue est exposée crûment. A chacun de choisir "le mobile qu'il saisira le plus facilement ou qui honorera ses talents d'analyste".
Une pièce trouble et troublante
Strindberg la qualifie de naturaliste, mais c'est d'un "naturalisme halluciné" dont il s'agit. Il se projette tout entier dans son théâtre comme dans un refuge d'où il peut se venger impunément d'une vie qui l'écorche vif. Il nous donne l'illusion de la réalité, mais il s'accorde la liberté du rêve. Il nous montre le décor et son envers.
Les personnages épinglés dans son petit théâtre intime disent tout et spécialement ce que l'on tait lorsqu'on reste dans les limites de la conscience, du bon goût et de la bienséance.
Les situations, les objets prennent des proportions subjectives: la préparation abortive de Christine est prémonitoire de la mésalliance de Jean et Julie, les bottes du comte ont un poids symbolique qui fait courber l'échine de son valet chaque fois qu'il les aperçoit, la décapitation du serin préfigure le suicide de Julie…
La pièce est un précipité de mots et d'images, de situations et de sentiments.
Elle est irréductible à un sens, un parti pris, une formule définitive. Elle fuit, échappe sans cesse à une appréhension univoque. Ecrite après ses premiers drames épiques et avant les pièces expressionnistes, puis symbolistes de la fin de sa vie, elle porte en elle les germes de l'évolution formelle du théâtre jusqu'à aujourd'hui. C'est ce bouillonnement qui fait sa puissance.
Il faut se coltiner au foisonnement de cette écriture et assumer la rage de Strindberg à vouloir nous restituer sa vision du monde jusque dans ses contradictions. Il faut prendre le risque de pénétrer "dans sa tête", dans une forme libérée de la censure du conscient.
Toute l'action se déroule dans la cuisine. Un espace intermédiaire entre les logements des domestiques et les appartements du comte. Un purgatoire entre "le haut" et "le bas", l'ascension et la chute. Un lieu confiné où la parole se libère.
La nuit de la Saint-Jean, on racontait que l'eau de source se transformait en vin et les fougères en fleurs. Un moment magique, "entre chien et loup", une nuit blanche qui modifie la perception du temps.
Cette cuisine sera suspendue entre ciel et terre, en apesanteur dans les limbes du théâtre. Un cadre qui concentre le regard au cœur d'un hors champ menaçant, peuplé des spectres du passé, du fantôme du comte, des ragots des autres domestiques et des esprits de la Saint-Jean…
Dans ce "tableau vivant" les personnages sont mus malgré eux par ces forces qui les dépassent, les débordent. Leur âme est un "conglomérat de civilisations passées et actuelles, de bouts de livres et de journaux, des morceaux d'hommes, des lambeaux de vêtements du dimanche devenus haillons, tout comme l'âme elle-même est un assemblage de pièces de toute sorte."
Aux acteurs de prendre en charge ce patchwork qui déborde la psychologie pour atteindre aux fondements de la nature humaine et aux conflits qui nous constituent tous intimement.
Là encore, nous devrons cheminer sur un terrain instable, explorer des codes de jeu différents, prendre le risque des ruptures et des contrepoints.
Notre enjeu sera de concentrer les rapports des personnages en un jus très puissant, de dépasser l'anecdote et la sentimentalité, de décaper le réalisme et le naturalisme pour parvenir à l'épure, c'est-à-dire à la violence et à la crudité de la réalité "toute nue".
"Nous voulons voir les fils, la machinerie, explorer la boîte à double fond, toucher l'anneau magique pour trouver le sommeil, glisser un regard dans les cartes pour voir qu'elles ont bien été truquées" A. Strindberg
Jacques Vincey, octobre 2005
16, place Stalingrad 92150 Suresnes
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