Dans Cartel, Michel Schweizer convie sur scène deux anciens danseurs étoiles de l’Opéra de Paris, Cyrille Atanassoff et Jean Guizerix, un jeune danseur classique en formation ainsi qu’une chanteuse lyrique, Dalila Khatir.
« Michel Schweizer n’a pas peur. Pas plus des chiens et de leurs maîtres qu’il convoquait dans Bleib, que des adolescents en pleine effervescence qu’il affrontait dans Fauves. Alors pourquoi ne pas s’attaquer à la communauté des danseurs ? Pas les contemporains, non, mais les anciens, ceux du ballet classique et des grands entrechats. Icônes d’un autre temps, ils ressurgissent ici drapés dans leurs habits de vieillesse, bien obligés d’accepter « que l’âge les contraigne à rejoindre les conditions héroïques de l’homme ordinaire... »
Comme toujours avec Michel Schweizer, les carcans disciplinaires explosent. Sans relâche, celui qui ne veut plus s’appeler provoque, dans cette nouvelle création, des chocs insolites entre des mondes qui habituellement ne se rencontrent pas. Et de cet assemblage inattendu, surgit souvent l’humanité. »
Texte de Stéphanie Pichon pour le Cuvier CDC d’Aquitaine
Le Cartel est une forme élaborée d’entente entre plusieurs partis, groupes d’intérêts par laquelle les « adhérents » constituent un organisme engagé dans une activité de production suivant des objectifs clairement définis. L’entente est le résultat des dispositions particulières de chacun à collaborer à une démarche collective de production. La mise en commun d’efforts et de compétences au service d’une expérience spectaculaire privilégiant le capital humain comme valeur dominante caractérise ici le Cartel. Il englobe donc la spécificité et le caractère interdépendant de chaque élément comme le paradigme d’une vaste entreprise d’humanisation. La production Cartel s’inscrira dans une économie du vivant représentative d’un segment particulierdu marché culturel actuel…
« [...] un vrai amour de la danse, du corps en scène comme du corps en souffrance. Idéal en ces temps moroses. » Philippe Noisette, Les Echos, 03 décembre 2013
Avec le projet de création Cartel j’ai choisi de tenter une collaboration particulière avec d’anciens danseurs étoiles. Comme pour mes précédentes pièces, tout ce qui sera constitutif de ce projet résultera de ma nécessité à générer une organisation du vivant inattendue mais, aisément reconnaissable - quand on pourra y déceler certains traits communs en matière de destinée humaine. Comment ces professionnels confirmés, à la vie saturée par l’excellence d’un savoir-faire et ses croyances associées, sauront retrouver une marge de liberté dans une sorte d’élan testamentaire ?
Il s’agira donc d’engager un travail de dépossession avec des danseurs arrivés au seuil d’une transition/reconversion dans leur histoire professionnelle et personnelle. Une sorte de dynamique de décroissance, qui cherchera à mettre au jour ce qui constitue et a constitué la verticalité intime, professionnelle et sociale de chaque danseur.
Il s’agira aussi d’interroger en creux une discipline historiquement référencée et protégée qui continue d’entretenir avec le présent une bien étrange relation… Quand, cet art de la danse qui sublime le corps dans une virtuosité normée, continue de laisser ses empreintes dans l‘histoire de l’art vivant.
Si, dans la collectivité humaine, mon intérêt continue de se diriger intuitivement vers des hommes, je m’intéresse plus particulièrement à ceux qui choisissent de mener des expériences en " amateurs " , ceux qui aiment, cultivent et entretiennent au quotidien leur passion pour une pratique particulière et qui, dans le même temps, ont dû apprendre à adopter une posture d’évitement. En choisissant de s’investir professionnellement dans une activité telle que la danse classique, les interprètes de Cartel se sont assuré la promesse d’une ascèse quotidienne : celle de les entretenir dans une distance permanente avec l’ordre du monde.
Ainsi, Cartel parlera surtout des hommes, d’une communauté emblématique d’hommes, dont l’art de la danse leur a imposé très tôt de s’extraire du monde, d’en esquiver sa complexe fréquentation. Et d’accepter un jour, que l’âge les contraigne à rejoindre les conditions héroïques de l’homme ordinaire…
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