Tout public à partir de 12 ans
La loi de la relativité
Une farce philosophique
Comme au XVIIIe siècle, où le public de Voltaire s'assemblait pour des représentations improvisées autour de ses marionnettes, Ezéchiel Garcia-Romeu nous propose de prendre place en famille, autour d'un plateau nu, d'où peu à peu surgit une fantasmagorie drolatique. Deux comédiens et d'infimes marionnettes se partagent le récit et la scène : Micromégas, raconté par un maître bonimenteur à l'allure voltairienne et son disciple ébahi, servile et maladroit.
Micromégas est une farce philosophique qui nous raconte l'atterrissage sur Terre de deux géants aux allures didactiques qui découvrent une humanité déséquilibrée par l'orgueil, la cruauté et le goût immodéré du pouvoir et de la mort. Cette humanité asservie à ses croyances, esclave de son image surdimensionnée, est observée par le regard d'entomologiste que portent sur elle nos deux géants, Micromégas et le Secrétaire de l'Académie de Saturne.
Diverses techniques de la représentation théâtrale se mélangent au service de ce conte philosophique et des dimensions qu'il explore : à portée de main, l'univers nous est offert comme sur un plateau de prestidigitation ; trappes et chausse-trappes, emboîtement d'une galaxie dans une pomme. Les personnages sont seulement des ombres avec aussi peu de réalité que les pantins du théâtre de Jarry ou des soties médiévales. Les pitreries de nos deux comédiens et l'absurdité de leur situation, n'en dévoilent que mieux le gai savoir du conte : « Il ne faut juger de rien sur sa grandeur apparente », lance enfin le héros de Voltaire au terme de cette quête de soi immiscée dans la conquête scientifique.
Aujourd'hui encore le fameux rire de Voltaire semble inapaisable dans la mesure où l'humanité qu'il critiquait alors dans Micromégas vit de plus en plus dans la difficulté à se détacher de ses travers. Toute l'ambition du Siècle des Lumières semble apparaître dans ce conte, tel un miroir tendu à notre esprit critique. Voltaire oppose ici l'infiniment grand et le résolument minuscule comme l'alpha et l'oméga de la conscience humaine. Né à Buenos Aires, Ezéchiel Garcia-Romeu réinvente un théâtre d'objets et de tréteaux. Musicien, décorateur, metteur en scène, il amalgame les numéros d'un cirque improvisé, la chansonnette et la manipulation poétique. Chaque chose, selon l'angle et la vision, offre une multitude de perceptions possibles, et la philosophie s'attèle à élargir les esprits bornés.
Micromégas est un géant de quarante kilomètres de haut, jeune savant parlant mille langues, vivant quelques millions d’années et habitant une gigantesque planète de l’étoile nommée Sirius. A la suite de travaux scientifiques contestés par les fanatiques du clergé e sa planète, il est contraint à l’exil. C’est alors qu’il voyage dans l’univers en espérant découvrir un monde meilleur.
Sur Saturne, il se lie d’amitié avec le secrétaire de l’Académie des Sciences, un nain de dix kilomètres de haut, désabusé par les femmes et la bêtise de son propre monde. Inférieur en tout à Micromégas, mais bon compagnon de voyage et très motivé pour suivre ce dernier dans sa quête initiatique.
Dans la banlieue de Saturne ils échouent malencontreusement sur la Terre, tas de boue un peu en désordre. Et découvrant par hasard les hommes entre deux foulées, ne viennent-ils pas de tomber enfin sur les microbes les plus heureux de l’univers ? S’ils parlent fort bien de sciences ou de métaphysique, ces microbes hélas, sont plus inquiétants lorsqu’ils causent de massacres et d’un soi-disant pouvoir infini qu’un dieu leur octroya un jour. Effrayés et déçus par ces petits monstres grotesques et imbus d’eux-mêmes, les deux géants reprennent leur route interstellaire. Ils n’ont que trop perdu leur temps à s’imaginer que ces insectes éclaireraient leur quête du bonheur.
On a avancé l’hypothèse que Micromégas fut un divertissement que Voltaire offrit à la société de Cirey au cours de l’hiver 1738-1739. On jouait des tragédies où l’on organisait, le soir, une représentation avec des marionnettes ou avec une lanterne magique. Les visiteurs à Cirey comme Mme Graffigny (1695-1758) en ont été témoins. Voltaire projetait des images et improvisait. Il donnait à ses hôtes « la lanterne magique avec des propos à mourir de rire », on brocardait, on riait.
Certains critiques, forts de ces témoignages, ont émis l’hypothèse que peut-être Micromégas fut, avant d’être un conte, une brillante improvisation, qui donna à Voltaire l’idée de l’écrire pour lui donner forme… Il faut reconnaître que Micromégas se prête admirablement au découpage en scènes accompagnées d’un commentaire. Il y aurait eu cinq tableaux. Une telle hypothèse a le mérite de nous rappeler que Micromégas est d’abord une fantaisie, qui mêle un peu tout : références scientifiques, allusions à l’actualité, souvenirs de récits fantastiques venus de Swift ou de Cyrano de Bergerac, allusions aux théories scientifiques et aux doctrines métaphysiques et éléments de farce. Comme les ombres de la lanterne magique, les personnages sont caricaturaux : ils ne sont même pas des symboles… seulement des ombres, avec aussi peu de réalité que les pantins du théâtre Jarry ou des soties médiévales.
Jean Goulemot
1, Place du Trocadéro 75016 Paris