En 1600 sur le bord sud de la Tamise à Londres, voit le jour un nouveau théâtre, The Globe. Parmi les cinq actionnaires du lieu se trouvent deux Williams : un certain Shakespeare, qui commence à se faire un nom comme auteur, et William Kemp, le plus célèbre clown du royaume, dont les gigues à la fin de chaque pièce font exulter le public.
Neuf mois plus tard Kemp est sur les routes, essayant de gagner sa vie en dansant de ville en ville alors que Shakespeare fait recette avec sa nouvelle pièce, Hamlet, dans laquelle le prince exige des saltimbanques qu’ils respectent les mots de l'auteur et qu’ils jouent d'une manière plus naturelle. Pour la première fois dans le théâtre élisabéthain, il n'y aura pas de farce dansée une fois la pièce terminée.
Que s'est-il passé ? Désaccord artistique ? Quête personnelle ? N’y a-t-il plus de place pour l'homme du peuple dans un théâtre qui veut attirer les bourgeois de l’ouest londonien ? L'histoire ne nous le dit pas. Kemp est oublié et Shakespeare est devenu la référence théâtrale pour tous les temps.
Cette histoire nous pose quelques questions. Les artistes de l’éphémère, comme Kemp, laissent-ils des traces, même souterraines, pour les générations futures ? Tourner le dos au succès est-il une force pour chercher sa propre danse ou une incapacité à faire face à de nouvelles circonstances ?
Ayant assisté à des représentations dans le Globe reconstitué à Londres, j'ai toujours été frappé par la force théâtrale de l'adresse directe au public dans les monologues shakespeariens. Le comédien est appelé à réellement partager ses pensées avec les " groundlings " (les spectateurs debout dans le parterre, bière à la main), avec tout le risque d'une réponse non escomptée du public en retour.
Même les spectateurs d’aujourd’hui, bien éduqués à garder le silence au théâtre, commencent à réagir dans ces conditions, comme libérés d'une certaine passivité. Tout l'art du comédien est justement de solliciter cet engagement du public, sans perdre ni le contrôle de la scène ni le fil de son histoire. C'est cet endroit dangereux et fascinant que j'ai envie d'explorer.
Un soir, au Globe, la troupe donnait La Mégère Apprivoisée jouée entièrement par des femmes. L'effet subversif du travestissement, en brouillant les cartes de l’identité sexuelle, donnait à la comédienne la possibilité de s’engager dans le rôle du personnage macho de Petruchio et d’avoir, dans le même temps, une complicité avec le public en tant que femme.
Ayant déjà goûté moi-même à ces sensations en jouant plusieurs personnages féminins de Shakespeare, je désire poursuivre cette recherche. William Kemp, le comédien en conflit avec Shakespeare sur le respect du texte, le clown dont les gigues sexuellement explicites soulevait l’enthousiasme, l'homme qui se posait des questions sur sa place au théâtre, m'est apparu comme le personnage idéal pour explorer tous ces thèmes.
Nigel Hollidge
Dans tous ces monologues comiques écrits pour Kemp par Shakespeare et ses contemporains Ben Jonson et Thomas Heywood, le côté " live " saute aux yeux même à la lecture. On sent que l'improvisation n'est jamais loin. Souvent le nom même du personnage est remplacé dans les monologues par le générique " Clown " .
Utilisant ces monologues, ainsi que les gigues dansées de Kemp et les chansons de Shakespeare comme matériel de base, la représentation prendra la forme d'une improvisation avec le public, en français, en v.o., ou en franglais selon les besoins.
L'enjeu pour le personnage de Kemp pendant cette rencontre avec le public est de résoudre ces questions : dois-je partir ou dois-je rester ? Du comédien ou de l’écrivain, qui est le chef ? Comment mener sa propre danse et y rester fidèle ? Que se passe-t-il pour le clown quand son comique s’émousse et qu’il se retrouve avec un vrai couteau dans la main ?
Le public étant partie intégrante du spectacle il n'y aura pas de séparation entre salle et scène. Le seul décor sera une boîte de costumes et d’accessoires dans laquelle Kemp piochera pour l’aider à raconter son parcours, et le plancher sera jonché de textes de Shakespeare avec lesquelles Kemp doit se débattre.
25, rue Popincourt 75011 Paris