La douleur est un recueil de six récits autobiographiques de Marguerite Duras sur la France de l'occupation. Quelques jours après le débarquement, Pierre Rabier, agent de la gestapo, fait la connaissance de Duras venue chercher des informations sur son mari, membre de la résistance. Elle veut connaître la vérité, il veut la séduire... S'ensuit un jeu du chat et de la souris. Entre répulsion et désir, le duo flirte avec la mort dans une jouissance inavouable et l'on ne sait plus lequel des deux manipule l'autre, lequel est le bourreau ou la victime.
Metteur en scène incontournable de la scène internationale et ancien administrateur de la Comédie-Française, Jacques Lassalle pousse ses formidables comédiens au bout d'eux-mêmes et met l'accent sur la confusion des sens et des sentiments, sur l'ambivalence de l'espèce humaine.
Il a fallu le remarquable essai-monographique que Laure Adler a consacré, en 1998 chez Gallimard, à l’œuvre et à la traversée dans l’Histoire de Marguerite Duras, pour que je découvre La douleur. Ce bouleversant recueil de six récits est paru chez P.O.L. en 1985. Marguerite Duras a assuré longtemps en avoir retrouvé tels quels les manuscrits dans ses cahiers des années 1944-45, entre le départ pour Drancy, puis Buchenwald, et le retour, mort-vivant, à Paris de son mari Robert Antelme. En fait, il semble bien qu’après la sortie de L’Amant, elle ait entièrement repris, fin 1984, l’écriture de La douleur, fusionnant, réorganisant, brouillant à plaisir l’initial matériau biographique.
Là n’est pas l’essentiel. « Le mentir vrai », l’inlassable transmutation de la réalité traversée en fiction romanesque, est plus que de n’importe quel écrivain contemporain, le propre de Marguerite Duras. Il reste que La douleur, et plus spécialement le deuxième récit, celui que l’auteur a intitulé Monsieur X. dit ici Pierre Rabier, est à mes yeux le plus déchirant, et le plus « intolérable » témoignage qu’il m’ait été donné de lire à propos de la France de l’Occupation, puis de la Libération. Mais il constitue aussi, peut-être d’abord, l’aveu le plus troublant, le plus impudique, le plus vertigineusement ambigu sur ce que c’est, dit-elle, que d’être une femme.
Jacques Lassalle
1, place de Bernard Palissy 92100 Boulogne Billancourt