Le 6 décembre 2008, Alexis, un garçon de 15 ans a été tué d’une balle en pleine poitrine par un policier, à Exarcheia, quartier central et anarchiste d’Athènes. Cette mort a déclenché en Grèce une vague d’insurrection populaire sans précédent.
Enrico Casagrande et Daniela Nicolò, auteurs et metteurs en scène de la compagnie Motus, reconstruisent cet épisode sanglant pour en donner une explication collective, qui puisse transformer l’indignation en action réparatrice. Dans une écoute attentive et ouverte, ils sont allés recueillir des échos de cette révolte auprès des témoins de l’épicentre du drame (activistes, commerçants, artistes…), mais aussi sur les pages des bloggeurs, dans les mots insoumis d’Antigone, revue par Brecht.
Avec tous ces éclats de voix, ils ont bâti une partition hybride, fulgurante et poétique, d’images, de sons, de textes, portée sur le plateau par la présence indomptable de quatre acteurs. Ce quatrième et dernier opus d’un chantier mené autour des révoltes contemporaines agit comme un détonateur. Il offre une vision polyphonique d’un monde en morceaux qui nous appartient.
Faire du théâtre aujourd’hui, en adéquation avec les oscillations de la réalité, signifie se précipiter dans la fugacité des événements pour se mettre à l’écoute. Le dehors fuit le temps et l’espace théâtral tel une bête sauvage. Il doit être poursuivi au risque de perdre le chemin. L’expérience de se perdre est bonne : elle réactive la perception et le flux cardiaque, elle " déséquilibre la ferme image du monde " .
En août 2010 nous sommes allés en Grèce à la recherche de témoignages directs sur le meurtre du jeune de quinze ans Alexandros-Andreas Grigoropoulos (Alexis), événement tragique commis par un policier au moment de notre premier atelier d’étude sur Antigone, en décembre 2008.
La mort d’Alexis a suscité un mouvement de protestation sans précédents dans l’histoire récente de l’Europe, auquel non seulement étudiants et anarchistes, mais les représentants de toutes les catégories sociales ont participé. Et la tension ne s’est pas éteinte. A Exarchia, le quartier central d’Athènes où Alexis a été tué, tout le monde attend l’automne prochain, quand les effets de la crise deviendront évidents, pour que les soulèvements s’avivent à nouveau...
Mais comment se fait-il que les manifestations en Grèce soient bien organisées et aient duré aussi longtemps… Alors qu’en Italie les mouvements de protestations s’enflamment subitement puis meurent dans l’éparpillement et le manques de coordination entre les divers groupements ?
Nous avons cherché une réponse en tentant de retrouver “la trace d’Antigone”, (en grec Syrma Antigònes, correspondant au nom complet du projet) en suivant le sillage de son voyage avec Œdipe, à la lumière des mutations et des bouleversements géographiques contemporains : une immersion dans la dimension tragique que prend ce pays si proche de l’Italie, par son histoire et ses vicissitudes.
Nous décidons de nous rendre sur le lieu de cette mort, un an après le drame, alors que l’événement a été totalement oublié par une presse qui fait feu de tout bois, alors qu’on ne parle plus de ce qui s’est passé à cette période (une véritable insurrection), justement parce que tout le projet Syrma-Antigone est une réflexion autour du too late !, autour du fait d’être présent trop tard, après l’irréparable. Mais est-il vraiment trop tard ? “Comment transformer l’indignation en action ? Quelle action est alors possible ?
Voilà les questions que nous nous posons, en tant qu’artistes, avant le début de chaque spectacle, ne pouvant pas continuer à faire du théâtre en faisant semblant que " le dehors " n’existe pas, seulement parce qu’on est trop absorbé par notre épuisante recherche formelle... La situation est en train de se détériorer et il faut s’exposer, à visage découvert.
211, avenue Jean Jaurès 75019 Paris