Pendant des années, on m’a, à des intervalles de plus en plus rapprochés, soufflé dans les nerfs, pour y êtres répétés des centaines de fois, des bouts de phrases faits pour être complétés par mes nerfs. C’est ainsi que tous les jours je peux entendre, se répercutant au centuple, ces mots incohérents soufflés sans suite dans mes nerfs : Pourquoi alors ?…Pourquoi parce que… Pourquoi parce que je… Soit que… Eut égard à son… Puis un « Oh ! oui » jeté dans mes nerfs sans aucune raison d’être.
Dans un sac en cuir rouge, un déodorant à la vanille, de l’assouplissant fleurs des îles, un tube de Zocprac, un dictaphone Olympus, des cacahuètes. Qui ?
Marie est arrivée il y a quelques mois. Elle se dit lauréate d’un grand concours de danse, elle chante aussi très bien, elle ira attendre Frank Sinatra toute une nuit à l’aéroport. « Il y a des choses que je suis seule à voir et aussi des choses que je suis seule à ne pas voir. » Sa famille est gentille. Elle a eu plusieurs aventures. Un Jean, un Antoine, un Philippe... « dans quel état m’avez-vous mise ? »
Elle dit avoir 29 ans, être danseuse étoile aux Ballets de Budapest, jure qu’on l’attend là-bas. Elle est poursuivie par de minuscules organismes ressemblant à des crabes ou à des araignées chargés d’accomplir quelque travail dévastateur. Elle répète son malheur, son plaisir, non seulement en le rejouant, mais encore en reconvoquant toujours sa survenue. Dans un même recoin de son corps se joue un double rôle, une intolérable intermittence du plaisir et du déplaisir. À un endroit, elle se rêve comme l’idole féminin à quoi rêveraient tous les hommes, tout en niant le moindre rapport sexuel à cause d’une odeur pestilentielle qui se dégagerait d’elle...
En utilisant chaque signe comme une pièce à conviction, on tente de comprendre ce qui se passe quand une personne est à la dérive. « Si les malades se sont détournés de la réalité, ils en savent plus long que nous sur la réalité intérieure et peuvent nous révéler certaines choses qui, sans eux, seraient restées impénétrables. » dit Georges Didi-Huberman
Oh ! oui... est un spectacle de théâtre musical avec une comédienne, un tromboniste et des danseurs. Articuler un spectacle autour de la folie signifie donc avant tout s’attacher à une pensée faite de promenades et de voyages à travers des constructions mentales hallucinantes, de détours et d’allers et retours entre plusieurs (ir)réalités.
Imaginez donc :
- Un hôpital, une salle toute blanche dont le sol est jonché de centaines de boîtes de médicaments
- Une femme « givrée » ou « dérangée » qui « déambule de sa drôle d’allure saccadée » et qui nous livre, avec une logique qui n’appartient qu’à elle, ses pensées, ses désirs, ses fantasmes…Marie tourne en rond dans cet hôpital entre les projections vidéo, sur un écran où se succèdent des images « au plus proche des siennes mentales », et des lumières qui « l’auréolent d’un halo psychédélique ».
- Un musicien, qui accompagne et prolonge les fantasmagories de Marie. La musique jouée en direct entremêlant trombone, bande-son, bruitages, crée ainsi un deuxième espace de lecture.
- Des danseurs qui sont « dans la tête » de Marie, qui font partie de son imaginaire et qu’elle fait apparaître et disparaître à volonté.
« Je suis capricieuse et égoïste, je ne suis pas malade mais incomplète. Dans la mesure où l’on est né humain, il faut s’attendre à se faire couper la tête paraît-il. C’est pour ça qu’il y a rien à dire, même si on est en colère. »
Alexandra Fleischer et Joachim Latarjet
Textes de Fabien Béhar, Takehiro Irokawa et Daniel Paul Schreber. Avec 4 à 6 danseurs sur scène.
190, boulevard de Charonne 75020 Paris