Ce projet a été initié dans le cadre de la programmation de Culturgest Lisbonne 2003.
Histoire(s), vidéo-performance documentaire, est l'aboutissement de deux années de travail entre septembre 2002 et mai 2004. Le spectacle repose sur l'entretien filmé de spectateurs ayant assisté, le 25 juin 1946 au Théâtre des Champs Elysées à Paris, à la création d'un ballet devenu mythique dans l'histoire de la danse. A la manière d'une enquêtrice, Olga de Soto décide de retrouver « les témoins » d'un acte qui s'est déroulé cinquante-sept ans plus tôt. La chorégraphe lance sa recherche autour de cette question : « Qu'est-ce qui reste d'une œuvre d'art vivant ? Soixante ans après, à quoi ça sert ? ». Les spectateurs d'hier aujourd'hui sont vieux. Ils ont l'air heureux, ils ont une excellente mémoire, et pourtant, ils ont presque tous oublié la fin, tragique, du ballet. Serait-ce de leur présent dont ils témoignent ?
Olga de Soto a composé en dix ans à peu près le même nombre de pièces chorégraphiques. Elle amplifie, avec cette dernière pièce, un travail réfléchi sur le temps et les mots. La chorégraphe développait, dans ses oeuvres précédentes, une recherche qui prenait naissance dans les mots, plus précisément dans les verbes d'action. Son premier outil chorégraphique est le dictionnaire, « Le Petit Robert » ajoute-t-elle avec la précision qui la distingue. En partant des définitions multiples d'un même verbe, « les interprètes, précise-t-elle, explorent différentes mémoires : corporelle, visuelle, temporelle et spatiale ».
Histoire(s), bien que croisant les recherches antérieures liées à la mémoire et aux mots, est une véritable révolution copernicienne dans le travail de la chorégraphe. Les mots de sa danse étaient inaudibles, ils en sont aujourd'hui les images. Olga de Soto décide en effet de ne garder que les mots et les visages, des neufs personnes rencontrées, pour servir d'argument principal à sa recherche.
Alors que les corps en mouvement, de ces pièces précédentes, ouvraient pour le spectateur des champs de paroles possibles, avec Histoire(s) les mots créent des espaces. La question chorégraphique de cette vidéo-performance documentaire semble bien être : comment montrer la danse avec des mots, comment filmer des paroles ? Si la manière de filmer paraît simple, elle recèle en réalité une grande qualité de mise en scène qui a pour ambition de nous porter vers des images de ce que nous n'avons pas vu. Le talent de la chorégraphe nous saisit dès le début de l'oeuvre. Elle réussit, grâce à un montage cousu au mot à mot, à faire circuler les paroles des témoins d'une bouche à l'autre. Voilà que les mots se partagent, se déplacent, bondissent, rebondissent, et suggèrent à la fois la présence commune de ces personnes à un même événement en les unissant ainsi dans une même phrase, tout en évoquant dans leur volatilité la danse inoubliable de Jean Babilée. Les mots sont l'image. Une danse prend forme, se forme pour chacun de nous, invisible et pourtant si présente. C'est pour ainsi dire la « révélation» de ce spectacle qui déploie une forme de danse très singulière et rarement observée, une danse fabuleuse, « qui a le caractère de la fable, récit de fiction dont l'intention est d'exprimer une vérité générale » (in Le Petit Robert).
Aude Lavigne
Avec les témoignages de Micheline Hesse, Suzanne Batbedat, Robert Genin, Brigitte Evellin, Julien Pley, Françoise Olivaux, Olivier Merlin et Frédéric Stern.
Musique de Johann Sebastian Bach (Œuvre pour piano) : Sarabande de la suite anglaise numéro
5, Passacaglia en C mineur interprétée par Angela Hewitt au piano.
76, rue de la Roquette 75011 Paris