" Il faut quelquefois se moquer des règles et se faire soi-même des règles pour en tirer de grands effets (...), notre devoir, c'est de rompre les chaînes qui nous aveuglent et tâcher de devenir nous-mêmes des originaux. " Christoph Willibald Gluck
Eurydice meurt dans les campagnes de Thrace de la morsure d’un serpent, peu de temps après son mariage avec Orphée. Touchés par le désespoir du jeune homme, les dieux l’autorisent à pénétrer aux enfers pour y retrouver sa bien aimée et la ramener sur terre. La condition à cette faveur divine : ne pas regarder Eurydice avant de sortir du royaume des ombres…
Chanteur hors pair, maître de tous les musiciens, Orphée est guidé par un chagrin et un amour qui dépassent tout, même la loi des Enfers. Dédoublé en deux entités, d’un côté l’humain, celui qui souffre dans ses récitatifs, et de l’autre l’artiste, celui qui chante des airs merveilleusement charmeurs, Orphée lutte contre Cerbère et contre les furies pour ressusciter son Eurydice.
À l’inverse, le deuil de la jeune femme est apaisé par la douceur des Champs Elysées où le temps et les maux n’ont plus de prise. Ainsi, l’intrusion de l’époux au sein de la félicité éternelle devient vite source de doute et de conflit. Eurydice, d’abord réjouie de revoir son époux, retrouve le souffle et les travers humains ; elle s’impatiente, exige, s’irrite et accable. Les retrouvailles tant attendues placent le spectateur dans une tension vive tenue par le secret divin. Orphée, lui, ne résiste pas... Mais l’Amour peut-il ignorer insensiblement la bravoure exemplaire d’Orphée ?
Opéra de C. W. Gluck
Librettistes Raniero de Calzabigi et Pierre-Louis Moline.
Direction musicale Benjamin Fau.
Par la compagnie manque pas d’airs. Prix Paris Jeunes talents 2007 / Prix culturel Défi jeunes 2007.
Orphée est un mythe universel sur la mort, l’amour et la fidélité. Il donne à voir l’au-delà ; conception qui renouvelle en l’homme sa force de pensée contre l’absurdité de sa fin. Représenter la mort, parvenir à cerner ce néant, donner des réponses là où l’homme s’arrête au seuil, voilà la limite que l’opéra peut se permettre de franchir, nous garantissant l’espoir d’une clairvoyance.
Pour rendre cette dimension mythologique profondément concrète et transmettre au mieux toute la modernité de la partition réformatrice de Gluck, je transpose le premier tableau, à table, à 6 heures du matin, dans une ambiance de fin de fête nuptiale où s’attardent quelques personnes saoules. Puis, le banquet se meut, se transforme et nous transporte tour à tour dans le site funéraire, aux portes des enfers, dans les reflets de la jeunesse éternelle. Faisant corps avec l’espace, les invités du banquet glissent dans l’histoire et muent au rythme des mouvements spatiaux.
Orphée restera fidèle à lui-même, à la poursuite d’un seul et même objectif. Sa constance et sa lyre sont les seuls fils stables et conducteurs de cette histoire qui ne saurait se débarrasser des mutations et de la folie des passions humaines : jalousie, joie, souffrance, démence, sérénité, fureur... autant de sentiments dont se joue l’Amour, double, androgyne, témoin parfois diabolique, parfois angélique, grand orchestrateur de cette ivresse sans fin.
Alexandra Lacroix
73, rue Mouffetard 75005 Paris