Paco Dècina et sa compagnie entament une résidence de trois années au Théâtre de la Cité internationale. Première étape, une nouvelle création : Chevaliers sans armure.
Paco Dècina, chorégraphe napolitain installé en France au milieu des années 80, participe à l’explosion de la danse contemporaine française, en y apportant sa culture méditerranéenne. Depuis 20 ans la mémoire, mémoire du Sud, mémoire des paysages, mémoire des corps, est la matière de ses chorégraphies.
Aux premières pièces (Tempi Morti, Circumvesuviana, Ombre in rosso antico, Scilla e carridi, Ciro esposito fu Vincenzo,...) aux scénographies luxuriantes, succèdent à la fin des années 90 des pièces où l’épure radicale de la scène laisse s’affirmer à une danse charnelle vécue comme une expérience spirituelle (Lettre au silence, Neti-Neti, Soffio, Intervalle ...).
Il choisit ses danseurs pour ce qu’il sent en eux de capacité à écouter le corps et à trouver l’état d’abandon d’où naît la danse de l’âme. Passionné de silence et d’immobilité, il est à la recherche des ondes souterraines qui nous animent.
Lui qui aime faire ressurgir la mémoire enfouie, il sait qu’il faut du temps pour la faire affleurer et il choisit maintenant pour Chevaliers sans armure de revenir sur le plateau avec Valeria Apicella, napolitaine comme lui, interprète merveilleuse, qui incarne l’essence profonde de son travail. Dans cette complicité volcanique, il y a le désir de redonner de l’espace à la danse, pour offrir un spectacle comme une exploration, comme une respiration, à partager à un moment donné.
"Dans un monde qui semble à chaque instant nous imposer, derrière le simulacre de la sécurité, la parole juste, j’aurais plutôt envie de vous proposer une promenade dans le silence du coeur. Dans cet espace intime, hors du temps des lois et du marché, nous pouvons enfin nous accorder au vrai souffle du monde qui semble s’uniformiser inexorablement. Comme une offrande sans rétention, une présence sans soi, une présence d’absences, Chevaliers sans armure est une possibilité de voir se rejouer librement le théâtre de nos émotions, nos sentiments, nos passions."
Paco Dècina
Musique : Duo Winter Family (Ruth Rosenthal : textes, voix Xavier Klaine : grandes orgues, piano)
Je crois que, pour danser, il faut pouvoir s’oublier, il faut pouvoir lâcher prise sur toute idée, et rendre le corps disponible au mouvement dansé. Le mouvement dansé - la danse - est un flux vital, pérennement en mouvement et en transformation. Par cette qualité intensive qui crée à chaque instant un nouvel espace pour se déployer, le corps du danseur devient le véhicule d'une mise en forme, et l'oeil du spectateur, le témoin pour que la danse, en fait, puisse se regarder elle-même... Mais alors, qui danse ? Existe-t-il véritablement une séparation entre l'interprète, l'oeuvre et le spectateur ?
C'est dans l'écoute de ce flux vital, sans cesse métamorphosé, que la danse nous apparaît. Que nous soyons assis, en train de la regarder, ou en équilibre sur une jambe, prêts à l'accueillir. Feu alchimique de la mémoire, "lieu" fugitif de l'impensable, souple, mobile, instantané, échappant à toute possession, tout critère, tout concept, la danse rend visible les mémoires enfouies dans notre corps. En les redistribuant dans un espace-temps autre, elle leur donne la possibilité de se délier. Comme si, ce qui n'avait pas su trouver place dans le monde épais du"compréhensible", pouvait maintenant rejouer son existence dans la fluidité qualitative du mouvement dansé.
Mais toutes ces nécropoles de mémoires, individuelles et collectives, qui forment
notre corps, en constituent la profondeur, l'opacité. Comment peuvent-elles trouver
l'envol pour se fluidifier et se donner au mouvement dansé, si celui-ci, de son côté,
comme un animal sauvage aux aguets, au premier faux pas, prend la fuite et
disparaît ?
La danse. Comment ça marche ? Qu'est-ce qui fait la différence entre l'agitation
corporelle et le mouvement dansé ? Comment distinguer le corps mécanique et le
corps dansant ? Ont-ils la même expansion, les mêmes limites, découvrent-ils les
mêmes espaces, les mêmes durées ?
Il faut aiguiser le "regard" pour percer la limite de la silhouette biologique, de la synthèse anatomique, et rencontrer le corps dansant. La danse, ce n'est pas l'espace parcouru, mais le mouvement en train de s'accomplir. C'est la nudité sous le vêtement du mouvement codifié, la vie de l'instant présent sous la forme "reconnue", qui apparaît. Interroger le corps, c'est interroger le monde.
Paco Dècina
17, boulevard Jourdan 75014 Paris