Le tango, un espace théâtral
Écrire pour Pas à deux
Des bals (certains soirs)
"(...) un acte de rébellion, une sorte de pas de deux impudent, provocateur et spectaculaire, mais aussi la nostalgie, de la communion et de lamour. Lorsquil se fait satirique, son humour possède lagressivité dune gifle. Voluptueux, les couples voltigent, marquent les pas au rythme de la danse, comme sils déposaient en elle leurs désirs." Introduction de Ernesto Sàbato à Horacio Salas, "Le Tango".
Le tango est accessible à tous, sans limite dâge, de nationalité ou de métier. Il nous dévoile le rapport à lautre comme un art. Ce pas de deux provocateur, me sert comme langage de corps pour parler avec ironie et tendresse du rapport entre les hommes et les femmes, du rapport à lautre en tant que différent de moi. Le dialogue des partenaires dans le tango commence par lécoute. La musique dessine lespace de cette rencontre. Le duel amoureux commence. Un duel dont le code dhonneur est la figure. Un duel où léquilibre doit se trouver à deux. Chaque pas dessine le sol comme un trait de crayon sur une feuille blanche, à chaque instant tout peut arriver. Cette précision et cette ouverture nous donnent le vertige. "...Il y a une terreur dans cette danse, une peur de chuter à chaque instant, de ne pas tenir lengagement de ce jeu de quelques minutes. Une peur de décevoir la confiance de lautre qui se balance sans retenue, répondant à ma peau comme si cétait la sienne, sans autre réflexion que dêtre là. Ne pas penser, danser ...".
Le tango nous révèle aussi à quel point lautre est effrayant et que derrière cette terreur, qui nest que pudeur, se cache notre capacité damour. La volupté marque le pas. Le désir sexprime par gifle et caresse, dans le tempérament de cette danse dorigine populaire. A la promesse que se font des corps en accord, joppose lélément subversif de la parole.
Pour lécriture je propose la séduction comme un lieu. Un exil où hommes et femmes extraits de lordinaire, déjouent rôles et rapports sociaux. Un jeu surtout, où par convention chacun se met en danger et shabille de plus en plus de nudité. La présence du masculin et du féminin dans lécriture est primordiale pour ce projet. Les écrivains, qui travaillent indépendamment, sans se connaître, mais à partir de la même proposition, nous ont confié une série de dialogues et de monologues. Ceux-ci ont la particularité de souligner labsence de lautre avec un humour noir proche du surréalisme.
Le bal de tango, qui sera lespace du spectacle (le théâtre sera transformé en salle de bal), est espace de danse, de musique, de chant et de parole. Distendu, abstrait ou non, il sagit de créer un tissu flexible qui peut prendre la forme dun bal aussi bien quun lieu ou un temps intérieur. Créant ainsi, dans cette intimité aux portes ouvertes, un réseau de résonances entre différentes histoires humaines. Le tango véhicule une intrigue intime dans un sens plus large, étant détonateur dune énergie contagieuse. Masculin, féminin en face à face, interchangent leurs rôles pour mieux les définir et mieux les déconstruire. Cest une invitation au bal.
Camilla Saraceni
Nous aimions le tango. Mais nous avions en horreur son goût du pathétique et des pleurnicheries. Nous aimions le tango. Mais nous étions lassés que tant dhommes éplorés idéalisent dans les larmes leur amante parfaite disparue à jamais.
Nous aimions le tango. Mais nous voulions que les amants y soient vivants. Nous voulions quils se cherchent et se perdent sans devoir en mourir. Nous les voulions complices. Nous les voulions en guerre. Nous les voulions rompus. Nous les voulions rieurs, rageurs, querelleurs, ironiques, cruels ou joyeux. Linsulte aux lèvres ou caressants. Prêts à tanguer à deux ou à dix. Prêts au vertige.
Nous aimions le tango. Mais nous voulions quil dise sans effroi le désir, la colère, la soif ou le banal quotidien plutôt que labandon, le malheur et la mort qui sensuit. Nous aimions le tango. Mais sans le formol et sans la nostalgie et sans la glu sentimentale. Vieux et neuf en même temps. Vert.
Alors, dun commun accord, nous décidâmes de tremper le tango dans le bruit de nos vies.
Lydie Salvayre
Écrire pour le mouvement de huit personnes a quelque chose à voir avec lorganisation dune fête, en particulier quand la formulation de la commande offre un espace volontairement vierge daccroche fictionnelle. La fête, pas pour la salle de danse, mais pour la disposition à la rencontre, à léchange, et ici pour un autre dialogue, celui du tango.(...)
Mettre en évidence le comportement humain, aujourdhui, où le jeu de la séduction nexiste plus, avec comme conséquence de toutes les peurs modernes, la solitude. La pratique du tango permet à ses adeptes de transgresser cette solitude et de retrouver des sensations qui peuvent paraître désuètes à certains contemporains, mais sources démotion pour dautres. La pratique quotidienne du tango permet dopposer des rapports de pouvoir différents, dopposer à une société austère lintensité de ce temps en dehors quest celui de cette danse. La demande de cette écriture repose sur le désir de mettre en évidence lopposition entre linhibé et le désinhibé, et entre le corps et le social.
Suivre son propre cheminement est lidée directrice pour lécriture de cette non-commande. Installer le rapport humain qui sera forcément détourné par le travail des comédiens, pour que le face à face du tango vienne poser sa mine au point élémentaire du sentiment.
Il est évident que lécriture du texte est un des éléments de lensemble, une des voix du dialogue, mais aussi une voix à part entière. Les sujets ? De quoi vont parler ces personnages ? Directement deux-mêmes, et de tout autre chose, dun paysage, de la mer, dun courant dair, mais aussi de détails anatomiques, de préférences, de points de vue, aussi bien architecturaux que de lesprit. Tout sera propice à rapprochement, avec comme impératif une liberté desprit, comme une décontraction laissant courir les idées, les associant parfois dans le seul but que celles de lautre saccrochent à leur train. Un jeu sérieux, comme le mot sérieux, comme celui qui lest trop et qui prête à rire, un catalogue, peut-être, pas tout à fait (...).
Charlie Kassab
Proposition de faire suivre une ou plusieurs représentations dun bal tango auquel seront conviés tous les spectateurs de la soirée, et qui sera ponctué par lintervention "dinvités surprises".
Ainsi, au Théâtre de la Bastille, le jeudi 4 mai, soirée douverture, invitation dAndres Ramos, tout jeune chanteur argentin (considéré comme le plus doué de sa génération) à réaliser un duo avec Sandra Rumolino (chanteuse du spectacle) sur des thèmes qui leur sont proches, accompagnés par le cuarteto "Darsena sur".
Le samedi 6 mai, les musiciens argentins, roumains, russes et français du groupe Translave feront le lien entre deux musiques dorigine populaire. Sur leurs compositions, un couple de tangueros , Birgit et Muso danseront un tango en déséquilibre.
Le samedi 13 mai, Lazar Perry, groupe de musiciens français, mouvance trip hop, dont la principale source dinspiration est Astor Piazzola, nous fera voyager dans les pays arabes.
Le samedi 20 mai, Julien Goualo, percussionniste africain, se joindra au cuarteto "Darsena sur" et ils nous feront voyager dAfrique en Argentine jusquà la milonga (première forme structurée du tango). Parallèlement, deux danseurs, Georges MBoye et Jorge Rodriguez, nous proposeront le même voyage.
En Argentine, la nouvelle génération essaye daccorder son désir pour le tango à ses goûts musicaux et projette dans la danse son rapport à lautre aujourdhui. Cela donne un tango déstructuré, à la recherche dun autre rythme, dun autre mouvement dans le couple, avec une façon de senlacer qui se modifie. Pour la soirée de clôture, le samedi 27 mai, jai donc invité un batteur anglais, Steve Argüelles, à rencontrer lun de ces couples, Victoria Vieyra et Chico. Ils improviseront ensemble sur quelques morceaux.
Cest sur cette ligne de fuite du tango, entre un symbole traditionnel dune identité culturelle que sont en train de sapproprier de jeunes gens, et la menace pour cette danse de disparaître si elle ne laisse pas place à ce nouveau regard, que je voulais clore les représentations à Paris, au Théâtre de la Bastille.
Camilla Saraceni
NB : Tarif bal tango 30 F payable sur place.
76, rue de la Roquette 75011 Paris