Présenté communément avec le Théâtre de la Ville.
Qui n’a jamais dessiné une marelle au sol avant d’y sauter à cloche-pied, qui n’a jamais fait « 1,2,3, soleil » dans une cour de récréation, a peu de chance de goûter les saveurs espiègles de Passo, d’Ambra Senatore. C’est dire qu’il n’est nul besoin d’être grandement initié pour apprécier la danse contemporaine. C’est dire encore, le plus simplement du monde, que la danse peut être vue comme un jeu. Voilà en effet, selon quelques-unes des caractéristiques que donnait Roger Caillois des jeux, une activité improductive, réglée et active qui met le corps en jeu dans un processus libre et incertain, bien que circonscrit dans les limites d’espace et de temps.
Que l’on se souvienne ici de Fase ou de Rosas danst Rosas d’Anne Teresa de Keersmaeker, d’Ulysse de Jean-Claude Gallotta, de Chiquenaude de Daniel Larrieu, des premières pièces de Dominique Bagouet et de tant d’autres, à l’orée des années quatre-vingt qui virent émerger en Europe la danse contemporaine. Ou encore, avant cela et outre Atlantique, des Accumulation pieces de Trisha Brown, sans même de parler de Merce Cunningham dont toute l’oeuvre a été avivée par un esprit profondément ludique. La danse est (aussi) un art du jeu.
D’Italie, où la création contemporaine a été si malmenée ces dernières années, Ambra Senatore vient le rappeler avec une revigorante fraîcheur. Avec une écriture très fine, parfois « subtilement caricaturale », qui semble s’effacer derrière une apparence de spontanéité, Passo flirte en effet avec la grâce enfantine des premiers pas, cultive l’ironie légère du mouvement qui échappe au pathos expressif, et délivre toutes les nuances subtiles et profondes des jeux du corps qui mènent malicieusement sur la double voie de la quête de soi et de la Fondazione Musica per Roma.
La danse est certes faite de pas, mais le titre est aussi à entendre comme un pas que se décide à franchir Ambra Senatore, prête à pleinement s’assumer comme chorégraphe après une série de solos. Le désir de travailler sur le double et la répétition, jusqu’à « confondre les présences pour ne plus savoir qui est qui », la fragmentation du mouvement et « le déplacement continuel du sens qui amène la surprise », fomentent ici la dynamique d’une partition visuelle sans cesse relancée au sein d’un cadre vivi !é par tout un jeu d’entrées et de sorties. Le leitmotiv de certains gestes et de postures fait ritournelle pour le regard, qui se surprend à chercher les indices d’une règle du jeu. Celle-ci est infusée dans l’apparence naturelle d’une écriture qui semble se surprendre elle-même, et le spectateur avec.
Avant de tracer son chemin dans la danse, Ambra Senatore con !e qu’elle voulait être cinéaste. Elle a indéniablement le sens de l’image, avec une certaine imprévisibilité du corps comme seul sujet, mais entre fondus-enchaînés et cuts, les images-corps de Passo existent avant tout par le rythme qui les anime et le montage qui leur donne consistance. On ne s’étonnera guère qu’Ambra Senatore se dise « attirée par la construction cinématographique sur scène. »
Jean-Marc Adolphe
« Un petit joyau de raffinement. » Il Messagiero (quotidien italien)
106, rue Brancion 75015 Paris