Moi, j’ai douze ans. Je m’appelle Patrick. Ma sœur elle a 8 ans et elle s’appelle Annie, ... ou Chuck Norris ça dépend ! »
Souvenirs d'enfance
Morceaux choisis
Des larmes de grenadine
Du Bonheur !!
« Imaginer c’est se souvenir » disait à peu près Pablo Picasso... Bosso a de la mémoire, il aime se souvenir, se souvient bien et surtout raconte bien, à sa façon faite de faconde, de chaleur humaine, d’humour et d’émotion.
1960 et 14 : il est le petit Patrick du treizième étage, Billy Preston lui donne la pêche (Nothing for nothing means no thing... !), l’ascenseur est toujours en panne - « Des feignants j’en ai connu mais comme cet ascenseur jamais ! » rouspète sa mère. Son père qui travaille dur au Port est « le vrai héros de son enfance » (et en vérité, moi je n’avais qu’un rêve, c’était d’être le sien...), et puis il y a sa majorette de soeur, les voisins (Boulouboulou, Bellaoui, Fondeleau, Belkacem, Malikian, Philipou, Fong, Shang, Ping, Lecat, Fernandez, Cutolo,...), l’école (qu’on avait des cartables qui pesaient huit tonnes chacun !), M. De Rosario l’instituteur, « tireur d’élite de la craie », les récitations (le Capitaine Jonathan et son pélican...), sa chambre partagée avec sa soeur (« ... les nerfs ! ») où sa puissante méchante chaîne stéréo crachait ses « deux fois deux watts », la Vierge aux larmes de grenadine de sa grand-mère, le petit cirque et son lion- chihuahua, sa panoplie de Zorro et l’aspirateur de sa mère (qui s’appelait Tornado comme le cheval de Zorro…), sa période Bruce Lee/Nunchaku, le Stade Vélodrome....
« Papa, ça veut dire quoi “avoir une vie de chien” ? » « C’est quand tu as une vie tellement dure que, chaque année tu dois la multiplier par sept. »
« C’est quoi le bonheur, Mémé ? » « Le bonheur, le bonheur ... Qu’est ce que c’est, le bonheur ? Moi, toute ma vie, je me suis levé de “bonheur”, je me suis couchée “de bonheur” et au milieu… je me suis débrouillée ! »
« N’aie pas peur, mon fils, on sera toujours là, on ne disparaîtra jamais ... Comme le morceau de sucre que l’on met dans l’eau : à un moment, on ne le voit plus, on croit qu’il a disparu mais quand tu la goutte l’eau est sucrée. Il n’est plus là mais il est partout. T’as compris ? »
« … Dans la chambre de ma grand-mère, il y avait des jésus et des vierges de partout, du sol au plafond. Quand je m’allongeais sur son lit, j’avais l’impression d’être dans la crèche. Elle avait même une vierge en plâtre grande comme ça (il le fait), avec une poire derrière, quand tu appuyais dessus, la vierge, elle pleurait des larmes de sang… bien sûr, ce n’était pas du vrai sang, il y avait des genres de cartouches que tu mettais à l’intérieur… je me demande ou elle avait acheté ça ?
Patrick (en appuyant sur la poire) :
Mémé, il t’en reste encore beaucoup des recharges ?
La Grand-mère :
Des recharges ?!! Ça fait bien longtemps que j’en ai plus…vas-y, appuie sur la poire et goûte les larmes, vas-y, goûte, n’ai pas peur…alors ?
Patrick
(étonné) :
C’est de la grenadine !!
La Grand-mère :
Hé oui, c’est de la grenadine… quand j’ai plus de cartouches, ça remplace… tu sais, si nous aussi on pouvait pleurer des larmes de grenadine, ça adoucirait un peu nos peines…
Patrick (faisant son intéressant) :
Ce qui serait bien, c’est qu’un œil pleure de la grenadine et un autre de l’eau…
La Grand-mère :
En tout cas, ne le dit pas à ta sœur pour la grenadine, sinon celle-là, elle va me boire toutes mes larmes... Alors ? Tu la sais ta récitation ? »
Pierre Bergounioux débute son roman, Le Grand Sylvain, publié chez Verdier, par ces mots : « Peut être que le meilleur des soins dont on est continuellement occupé, les travaux et les fatigues de l’âge de raison, ne vont qu’à satisfaire les requêtes impossibles qu’on forma aux premiers jours. Si l’on voyait vraiment, qu’on puisse percevoir les mobiles effectifs de notre action, on n’aurait pas seulement sous les yeux le prosaïque spectacle d’un type en train de suer sang et eau à faire chose ou autre. On discernerait, à trois pas de lui, l’ombre exiguë, le contour du gamin de cinq ou huit ans ou quatorze dont il exécute aveuglement l’injonction. »
Je cite ce grand auteur car, comme lui, je l’ai vu cet enfant, debout, dans l’ombre, à quelques pas derrière Patrick Bosso. C’était Bosso gamin, lui ! Je le reconnus à son rire, le même éclat, plus fin peut être pour le gamin caché dans une ombre du plateau, à jardin, et qui poussait Patrick Bosso, l’adulte à monter sur la scène des théâtres pour parler de tous ceux qu’il aimait. Parle de nous !
Encore lui ! Toujours lui, le petit Bosso, ce gosse ! Je l’ai vite reconnu. Il avait déjà poussé Patrick Bosso, l’adulte, à raconter sa vie et celle de sa famille, de ses copains d’école, les journées bordéliques et magnifiques, dans « Le spectacle de ma vie ». Raconte-nous ! Je l’ai retrouvé avec tellement de joie, l’enfant Bosso, caché dans ce petit coin sombre et chaud du plateau, qui donnait ses recommandations à Patrick Bosso, le grand ! Parle de ça ! Raconte ça ! Disait le gamin de Marseille qu’il fut, à l’homme de scène qu’il est devenu. Honore nous !
Patrick Bosso, le petit, dirigeait Patrick Bosso, le grand ! Ne nous oublie pas, murmurait l’enfant, drapé dans les velours noirs de l’ombre. Parle de maman et de ma petite sœur, parle de papa qui travaille sur le port, parle de mémé, parle de l’école ! Dis tout, même quand on est triste ! Dis aussi comme on se blottissait les uns contre les autres et que ça gardait notre bonheur au chaud. Dis comment c’était marrant, quand papa était saoul. Dis comment ça nous faisait rêver, quand mémé nous parlait des grands voyages ! Naples ! L’Amérique ! Les beaux bateaux, cent mille lumières, comme des châteaux qui flottent sur l’eau ! Dis aussi, prends le temps, comment la vie, souvent, c’est difficile, mais que nous, notre famille de Marseille, on la couvait comme un œuf, gros, précieux, plein d’un jaune d’or, luisant, miraculeux ! La vie, on la gardait au chaud. On disait, te casse pas la tête ! Ca voulait dire, casse pas notre œuf ! On rêvait qu’il en sortirait un oiseau magnifique, de cette coquille, et que cet oiseau coloré, bruyant, ça serait notre vie ! Notre vie à nous ! Défends-nous !
Dis les secrets, réclame l’enfant Bosso à Bosso devenu grand, mais pas tous. Gardes en quelques uns que pour nous. La famille Bosso, c’est toute l’Italie qui tient dans une petite sardine ! Cette sardine fort célèbre dont on dit qu’elle bouche le Vieux port de Marseille, n’existe pas. C’est une blague. Il en existe une vraie, qui ne bouche rien celle là, bien au contraire, elle nage et miroite au soleil du cœur des gens qui se battent pour un peu de bonheur. Toute petite sardine en argent ! Je le vois, cet enfant volontaire, consciencieux et fidèle, pendant qu’il regarde Patrick Bosso dessiner devant nous ces personnages qui sont les composant essentiels de sa vie. De la vie. De notre vie rêvée. De notre vie réelle, peut être, si nous avons cette chance d’aimer et d’être aimé. Tant mieux. L’enfant caché refait les gestes. Redit les mots. Fais remonter le gris, le bleu, le tendre. Aime-nous !
Patrick Bosso écoute le gosse. Et moi, je le regarde ébahi. En fait, je l’avoue, ce n’est pas moi qui fais la mise en scène de ce spectacle, tendre, comique, et parfois cruel, comme un reflet coloré des mots sur la vie. Non. C’est un autre enfant, qui met en scène ce moment magnifique de bonheur ! C’est le gosse que je fus, debout, derrière moi, qui me souffle à l’oreille que je dois écouter ce gosse, là bas, qui pousse Patrick Bosso à raconter Du Bonheur ! Il me dit, le gosse revenu d’avant, qu’il me faut le laisser faire, le petit Bosso.
Au fond, Bosso et moi, ne faisons rien. Nous écoutons ces gosses qui, dans les ombres épaisses et magiques du théâtre, nous obligent à nous taire, nous, ces adultes que nous sommes devenus. Ils nous disent qu’il faut les écouter, eux, en écoutant nos cœurs. Que nous devons leur obéir. Pour ne jamais vieillir. Pour ne jamais mourir. Ce sont ces gosses increvables qui, au sortir du théâtre, nous poussent à sauter les pieds joints dans les grandes flaques d’eau, quand qu’il a plu ! Ce sont des idées de gosses. Immortelles et sucrées. On craint dégun ! Le spectacle de Patrick Bosso, gamin des quartiers de Marseille, mis en scène par Jean Marie Gourio, gamin de la banlieue de Paris, c’est ça. Un contrat d’allégeance aux enfants que nous fûmes. Le pouvoir aux minots.
Et ça…c’est Du Bonheur !
Jean Marie Gourio, Metteur en scène
120, bd Rochechouart 75018 Paris