Pour Penthésilée

Qui est-ce, moi, quand je dis moi ? s’interroge une autre héroïne de Kleist dans Amphitryon.

Fascinée par le mythe de la reine des Amazones, Daria Lippi reprend l’interrogation vertigineuse à son compte pour se laisser traverser par le mythe de Penthésilée. Seule en scène, le corps lisse et asexué comme une statue grecque, Daria Lippi est tout à la fois Penthésilée et Achille, la raison et la passion, le paradis et l’enfer, l’arc et la rose, l’homme et la bête, l’icône et le guerrier, l’homme et la femme.

Miracle d’une adaptation réussie, cet opus pour comédienne seule dit l’essence de la tragédie de Kleist et ne le trahit en rien. Tout y est en raccourcis des péripéties qui conduiront Penthésilée et Achille à se rencontrer et à se dissoudre l’un dans l’autre. Elles ne sont pas montrées cependant et paradoxalement c’est l’innommable qui se trouve objectivé dans la chair de la comédienne. La scène est proprement là, dans le corps bandé de l’actrice qui capte les regards aussi sûrement que la Gorgone dont se réclame Penthésilée.

Le spectacle commence comme un conte. Daria Lippi introduit les spectateurs dans son espace de jeu et raconte la légende du peuple des Amazones. Un peuple massacré et violé, la vengeance, le serment des femmes de ne plus jamais se soumettre à la loi des hommes, la fondation du royaume des Amazones, les femmes au sein coupé, condamnées à chercher leurs amants sur les champs de bataille. Dans la guerre de Troie Penthésilée affronte Achille. Au fur et à mesure du déroulement du récit, on assiste à la lente métamorphose de la comédienne en Penthésilée, corps en apesanteur, souffle suspendu avant de retomber au sol en Achille. Penthésilée est Achille, Achille est Penthésilée jusqu’à épuisement des genres. Une histoire d’amour fou, une ballade dans les zones troubles des fantasmes et pulsions inavouables, un rituel flamboyant scellant les noces d’Eros et Thanatos. Et une belle métaphore de la dialectique masculin/féminin.

« Non, dites ! Est-ce un rêve ? » demande le Prince de Hombourg, autre héros « hors de soi » de Kleist. « Un rêve, quoi d’autre ? »

Ce spectacle a été créé en novembre 2004 au CDN sous l’impulsion de Daria Lippi fascinée par Penthésilée . Elle commence sa carrière, en Italie, en jouant La Petite Catherine de Heilbronn rôle qui lui valut l’Ubu (l’équivalent du Molière) de la révélation théâtrale. Avec Eric Lacascade elle a adapté le texte, le réduisant à un seul interprète puis, inversant la logique établie dans la création théâtrale (un œil extérieur et plusieurs interprètes), elle a rassemblé metteurs en scène, chorégraphes, créateurs de musiques et d’images pour les organiser en faisceau de « regards croisés ».

Sur scène : Daria Lippi
Regards croisés : David Bobée, Arnaud Churin, Héla Fattoumi, Eric Lacascade, Loïc Touzé
Et Stéphane Babi Aubert, Philippe Berthomé, Régine Chopinot, Philippe Marioge, Julian Snelling, Clarisse Texier, Virginie Vaillant.