Lecture réalisée par Alain Macé avec la complicité de Hervé Pierre - pensionnaire à la Comédie-Française.
« ...Je suis allé, il n’y a pas très longtemps, sur la tombe de mon père, cela je le sais et j’ai relevé la date de son décès, de son décès seulement, car celle de sa naissance m’était indifférente ce jour-là... »
Le chef-d’œuvre de Samuel Beckett simplement. Un comédien, un regard et les mots de Beckett.
« Bon qu’à ça ». La formule que l’écrivain Beckett s’applique à lui-même m’intéresse en ceci que je n’en trouverais pas de meilleure pour dire pourquoi je suis devenu acteur. Si j’y songe, Beckett aura été de ceux qui ont accompagné mes premiers bonds dans l’art dramatique. Mais sans doute fallait-il aussi beaucoup de temps pour que je puisse accéder à la matière première de son oeuvre. Ainsi poursuivi longtemps par sa façon si étrange de penser et d’écrire les choses, une rencontre est aujourd’hui possible. Premier amour ?
Ou pour électrifier la question au maximum, quelle est cette fontaine qui appelle tant d’acteurs à venir y boire ? Là encore, même réponse : bon qu’à ça ! Car il m’est impossible, malgré l’afflux des prétendants, de manquer ou d’éviter ce rendez-vous avec le polyglotte irlandais à l’heure de sa première incursion dans notre langue.
Premier amour de Beckett c’est une ligne de force pour l’acteur. Pour ce faire, il me fallait m’appuyer sur un regard complice. Aussi faire signe à Hervé Pierre m’a semblé judicieux. Nous avons tous deux joué des récits de Jean- Luc Lagarce. Nous savons combien nos auteurs d’aujourd’hui sont redevables à ce pionnier que fut Samuel Beckett.
Et puis enfin, pour ce que je crois, on ne peut échanger, sur un mode critique, que sur fond d’amitié.
Alain Macé
J’ai, avec Alain Macé, partagé l’écriture de Jean Luc Lagarce à travers deux récits : « L’apprentissage » pour lui et « Le voyage à la Haye » pour moi. Cette expérience à la scène du récit intime nous a rendu complice et « Premier amour » nous a réuni. J’aurais pu lire ce récit de Samuel Becket et Alain m’aider à élaborer cette lecture.
Je serai dans la salle à entendre, à assister, à accompagner. Mon travail sera d’ouvrir les oreilles et les yeux et de mettre en lumière cette expression amorale de l’humanité, de laisser l’incandescence de la poésie de Samuel Becket sortir de l’ombre, de la nuit, exprimer le sentiment amoureux et son impossibilité en pleine lumière, et retourner à la nuit, à la fuite, nous laissant saisis, bouleversés, anéantis.
Cette rencontre préservera l’humour de Beckett, lui qui choisira Buster Keaton, pour son unique film et dont Alain possède le mystère.
Hervé Pierre
3, rue des Déchargeurs 75001 Paris