Pierre Guyotat occupe une place capitale dans l’histoire de la littérature française moderne. La guerre, la pulsion sexuelle, la réalité esclavagiste, l’omniprésence divine, animale et l’efficience de la Nature et de la matière constituent la trame de cette oeuvre tragique et comique à la fois. Q
uinze ans après Issê Timossé, pièce de Bernardo Montet d’après un texte de Pierre Guyotat dans laquelle elle dansait, Tal Beit Halachmi a choisi de s’emparer de Progénitures dans un solo physique, dense, enragé, qui se déploie autour d’une cage de métal évoquant les ouvres sculpturales de Louise Bourgeois. On y entend le souffle et la respiration, des craquements, des battements de coeur et le chant de la voix nue. Tal Beit Halachmi s’empare de la langue et de la violence du monde, et propose une plongée dans les profondeurs d’un univers archaïque, organique, toujours poétique et d’une expressivité musicale nouvelle : le corps s’accroche et cherche à être, furieusement.
L.D.
Pourquoi avez-vous choisi d'adapter Progénitures ?
Dans l'écriture de Pierre Guyotat, il y a pour moi une chose forte, fondamentale et poétique. Je connais son œuvre depuis longtemps et j'arrive à un moment où j'ai le désir de porter un texte de cette puissance. Peut-être que le fait que le français n'est pas ma langue maternelle me permet d'entrer dans l'écriture de Pierre Guyotat avec la conscience que la langue est une chose à découvrir et à creuser sans cesse. Ce texte vous prend entièrement et il faut être mûr pour porter une telle œuvre. C'est l'ampleur de sa beauté, de sa cruauté et de son humour qui m'en donnent le courage. Grande ouverture
Qu'est-ce qui vous touche le plus dans son œuvre ?
Je me sens toujours profondément concernée par l'univers de Progénitures, par sa musicalité et sa poésie. La place de l'être humain dans le monde est une question qui me hante, ce monde est éprouvé par tant d'atrocités. Quand j'apprends ce texte, j'ai presque le sentiment qu'il y a des couches d'écriture qu'il faut traverser. Moi qui suis née en Israël, j'ai parfois la sensation de me trouver face à un texte biblique et de devoir faire un travail archéologique. Cette écriture solide et forte me semble gravée dans la pierre, dans une matière, sans être jamais rigide, c'est une écriture liée au souffle.
Vous travaillez justement beaucoup à partir du souffle et de la voix…
Oui, mais je travaille la voix comme une voix dansée plus que comme une voix théâtrale : elle provient d'une même recherche intérieure. Quand j'utilise la voix, quand celle-ci survient, rien ne change de la posture, l'engagement corporel reste le même. C'est un souffle qui part d'un corps dansant et qui se transforme en voix puis en verbe. Ce texte est pour moi un grand chant qui rend possible que cette humanité là existe.
76, rue de la Roquette 75011 Paris