Présentation
Un mot de Raffaella Giordano
Un mot de Frédéric Kahn
"Je voudrais vous parler de l'amour. Page blanche".
Elle commence comme ça, Raffaella Giordano, dans une pièce au titre introuvable qui succède au formidable Qoeur, cabaret déjanté à l'allégresse tragiquement grossière (Théâtre de la Bastille, 2002).
De la "danse-théâtre" ? Pas vraiment. Il ne s'agit pas d'une histoire, mais de toutes les histoires improbables entre des individus qui s'essayent à vivre ensemble. Un champ d'imbrications sans fin entre conscience et matière. Une géographie de l'intime, magnifiquement mise en scène, continuellement en mouvement, déplacée, où s'ouvrent des portes, des fenêtres, des vides. Une déclaration d'amour, généreuse et lumineuse, à l'adresse de toutes les vies en infraction.
D'emblée, nous sommes dans un système de relations mystérieuses. L'absence d'une histoire à raconter laisse au spectateur le regard libre face à la nécessité de comprendre. Des "hommes en noir", unis dans un destin commun, représentent la condition humaine où chacun deviendrait porte-parole de sa différence.
Sur la scène, figures et éléments donnent vie à une géographie continuellement en mouvement, déplacée, manipulée, où des portes, des fenêtres, des vides s'ouvrent. L'impression d'un mystère sans nom, indicible, mais qui nous concerne, parcourt l'espace. En transformation constante, l'espace nous laisse dans l'étonnement d'un lieu qui se révèle être un point en mouvement.
Dans ce contexte, l'acteur, non affecté à un rôle établi, en état permanent d'accueil, devient le serviteur de ce qui l'entoure ; s'exposant à l'ambiguïté, il engendre un sens plus large.
Et, sur cette frontière non arrêtée, les "hommes en noir" deviennent à la fois inquisiteurs et interrogés, observateurs et observés, témoins et auteurs d'actes de vie, de cruauté et d'amour.
La danse est mon langage spécifique. En tant que tel, il n'associe pas seulement matière et corps, mais aussi pensée, cœur, esprit, émotion.
J'ai besoin d'inclure, j'ai besoin d'intégrer sans exclure. Ainsi, mon centre d'observation est-il l'individu en lui-même, chacune de ses expressions devenant une source d'écriture possible.
Chacun de mes spectacles est donc le fruit d'une relation, d'un moment de relations.
La mise à feu du prétexte se fait pendant le temps de création, en rapport intime avec le moment présent, en contact direct avec ce caractère de nécessité que le travail des figures voit naître.
Les modalités du langage qui émergent alors et les signes qui s'en dégagent se rattachent au prétexte du spectacle en symbiose intime avec l'essence de chacun.
Raffaella Giordano (traduction)
Le terme de danse-théâtre est inadéquat pour définir son travail tant cette artiste dépasse à la fois le théâtre et la danse. Sa proposition ne se résout dans aucune de ces deux disciplines. Il ne s'agit pas d'une histoire, mais de toutes les histoires probables entre des individus qui s'essayent à vivre ensemble. Elle substitue à notre vision égotiste du monde un principe de consentement et d'interdépendance. La pièce ouvre un champ d'imbrications sans fin entre les consciences et la matière, devenant ainsi, elle-même, une entité vivante et mutante. Simplement, sans titre, est une oeuvre spirituelle au sens où l'entendait Tarkovski : "à travers l'art, l'homme exprime son espoir. Tout ce qui n'exprime pas cet espoir, ce qui n'a pas de fondement spirituel, n'a aucun rapport avec l'art".
Frédéric Kahn
76, rue de la Roquette 75011 Paris