Remarquée pour son talent d'auteur avec "Le rire amer du Bélouga" (une pièce jouée à Paris et en tournée plus de 150 fois), Taïra auteur et comédienne nous revient avec un nouveau texte: "Station des oubliés", après une escapade de quelques mois sur les planches , personne n'oubliera sa poignante interprétation de Fréhel, grande chanteuse de l'entre deux-guerres.
" Aujourd'hui il faut autant craindre le silence des pantoufles que le bruit des bottes".
Un quai de métro, un clochard sans âge qui philosophe, une délinquante violente parce que désespérée, une jeune québécoise paumée, le décor de "Station des oubliés" est planté. Taira, l'auteur de cette pièce aux accents humoristiques, nous décrit une tranche de vie ; la vie de trois solitudes qui tentent de partager un semblant d'intimité et de reconnaissance.
Trois univers qui, soir après soir, se découvrent, s'entrechoquent et s'apprivoisent avec humour, colère ou indifférence, sous le regard anonyme des passants.
Une pièce qui se veut être un cri d'espoir, face à l'absurdité et l'indifférence de notre monde, un texte qui tente en l'espace d'une représentation de changer le regard que nous posons sur ces inconnus que nous nommons SDF. "Il ne suffit pas qu'une main soit tendue, il faut aussi faire l'effort de la saisir". Ni moraliste, ni réaliste, il s'agit de théâtre tout simplement !
Match
Métro, goulot, dodo
Sur un quai de métro, un clodo, une zonarde vindicative et une Québécoise paumée
tentent à coups de gueule, niais aussi de cur, de partager leurs solitudes. Pour ne
pas raconter nimporte quoi sur les SDF, Taïra a travaillé dans un organisme pour
sans-abri. Elle nous entraîne au pays de la carte orange, non loin des enfers. "
Aujourd'hui, il faut autant craindre le silence des pantoufles que le bruit des bottes.
" Un silence qu'elle brise avec humour et sensibilité. Franck Vincent, le
clochard-poète, touche au sublime. Le regard troublé par le mauvais vin, la démarche
brisée par des articulations fatiguées, la voix creusée comme un tunnel par
lalcool, il trouve le juste équilibre entre authenticité et théâtralité. Nadine
Girard, en " cousine " canadienne, et Taïra, en loubarde, sont au diapason de
cette performance. A la fin, le public se lève pour une standing ovation. Et ça, ça
vaut toutes les critiques...
Reforme (24/2-1/3/2000)
Une pièce de théâtre qui redonne un visage humain à ceux que l'abstraction du
sigle SDF a rendus invisibles.
Est-ce le protestantisme de Taïra qui fait, par tant de conviction, vibrer les mots de
" foi " et "d'amour " dans la bouche de ses personnages, et qui donne
à voir avec cette rigueur, sans larmoyante complaisance, la terrible situation de
désespérance sociale qu'elle évoque dans Station des oubliés? La mise en scène
minimaliste de Pascale Liévyn, évitant le détail documentaire ou l'expressionisme
daté, nous suggère une station de métro, par un banc, un escalier et le vrombissement
monotone des rames qui vont et viennent. Voici donc un " clochard à qui tente de se
raccrocher à des lambeaux de mémoire. une prédélinquante que le malheur a durcie, et
une jeune Québécoise naïve, perdue, flouée...
Trois solitudes tellement humaines, et que le sigle SDF réduit déjà au prochain
inventaire statistique. Trois personnages qui commencent à faire partie de ces êtres
tombés si bas que tout lien social est chez eux rompu et que toute estime de soi S'est
corrompue, pour qui la seule espérance sera le sommeil cadavérique de la prochaine
" cuite ", et la plus fréquente aspiration restera n'importe quelle manière
d'autodestruction a Aujourd'hui il faut autant craindre le silence des pantoufles que le
bruit des bottes à, nous dit Taïra. Silence, froideur des passants (mais la charité
doit-elle, peut-elle se substituer aux carences de l'organisation sociale?) sensibles dans
la pièce, en filigrane. Scènes de la misère ordinaire que Taïra n'a point enveloppées
dans les stéréotypes idéalisés du mélodrame. Il y a, par exemple, cette scène, très
dure, où Martha reste de glace devant une agonie possible de celui (surnommé Ulysse) qui
est en principe son compagnon, puis ces moments effroyables de résignation. Point de
misérabilisme non plus : aucune délectation suspecte à l'égard de ce malheur, mais une
blessure et un généreux cri de révolte. L'antienne de la mendicité dans le métro, que
nous n'entendons même plus, exhibe sa vraie parole de souffrance, et tous ces visages
esquintés, ahuris, tuméfiés qui nous font détourner la tête, retrouvent, au moins le
temps de la pièce, leur humanité brisée.
Même si la fin ici n'est pas tragique mais entrouvre une porte, comment ne pas ressentir
l'amertume de l'auteur devant cet immense gâchis? Taira a su donner force et actualité
aux valeurs éthiques de lAncien Testament.
Pierre DAVID
LAmi du 20ème (mars 2000)
Terminus Mairie de Montreuil. Sur le quai du métro, Ulysse (Franck Vincent) a
squatté deux bancs en lattes de bois et organisé sa vie souterraine avec philosophie. Il
a des principes, ne demande rien à l'Etat et vit de charité privée comme dirait sa
grand-mère. Tout en buvant à petites gorgées son litre de gros rouge, il fait la manche
auprès des voyageurs insensibles et pressés. D'un il amorphe, il surveille son
trésor, un sac empli de bouteilles vides récupérées dans les poubelles et qu'il va
rendre au supermarché du coin.
Martha (Saura) arrive avec sa violence et son besoin de lutter pour sortir de la
débine. Entre elle et Ulysse flotte une incompréhension floue. Révolte et résignation
se heurtent constamment. Un matin, une jeune touriste descend du premier métro et
installe son sac à dos sur le banc d'Ulysse. Pauline (Nadine Girard) est québécoise
et a rendez-vous avec l'homme qu'elle aime. Naïve, elle lui a confié ses devises et elle
l'attend patiemment. Ulysse et Martha vont, chacun à sa manière, la protéger et l'aider
à repartir au Canada.
Taira a écrit un texte puissant et sobre, véhément et tendre sur la vie quotidienne des
SDF qui sont 300.000 à Paris. Il est remarquablement servi par Franck Vincent, le
clochard nologue et Nadine Girard la candide canadienne.
S. V.
80, rue Villier de l'Isle Adam 75020 Paris