Qui s’interroge sur le travail quotidien du danseur contemporain trouvera dans le parcours de l’argentine Cecilia Bengolea et du français François Chaignaud des réponses originales. Passés à la chorégraphie en 2007 après un parcours d’interprètes (pour Alain Buffard, Boris Charmatz, Yves-Noël Genod, Alice Chauchat ou Emmanuelle Huynh), Cecilia Bengolea et François Chaignaud appartiennent à une génération d’artistes qui se passionne autant pour les pratiques corporelles les plus interlopes que pour les techniques académiques : hula-hoop, strip-tease, street-dances, voguing croisent chez eux danses expressionnistes des années 1930, art du ballet, danse anthropologique ou étude d’ouvrages historiques.
Il fallait sans doute au tandem une telle curiosité envers l’histoire des corps pour expérimenter un dispositif aussi contraignant que celui de Sylphides (2009) : littéralement enfermés « sous vide » dans des sacs en latex, les danseurs évoluent au minimum de leurs fonctions vitales. Ainsi poussés au bord de l’asphyxie, ils évoquent ces êtres immatériels suspendus entre vie et mort, fantasme et réalité, qui ont tant dynamisé la création littéraire et chorégraphique des XVIIIe et XIXe siècles. Fidèles au canevas dramaturgique traditionnel, qui mène les sylphides de la léthargie à la renaissance, Cecilia Bengolea et François Chaignaud donnent un exemple raffiné de leur façon d’entrelacer figures antiques, réminiscences étincelantes, et épreuves corporelles proches du body art.
Les sylphides sont des êtres immatériels, fruits de l’imagination des humains et médiums entre les mondes. Objet d’un véritable engouement littéraire au XVIIIe siècle et chorégraphique au XIXe siècle, la figure de la sylphide apparaît aujourd’hui comme une clé et une énigme majeure de notre imaginaire. En posant la question de la matérialité du corps, de la vie après la mort et du rapport que l’on entretient avec les morts et leurs enveloppes corporelles, les sylphides interrogent certains des grands invariants de la pensée occidentale : le dualisme, le temps linéaire, le rationalisme…
Entre rite funéraire et amphidromie (fête de la naissance), Sylphides s’annonce comme une tentative littéraire de réincarnation. Grâce à un dispositif permettant de faire l’expérience de la suspension des fonctions vitales à leur minimum, nous avons l’intention d’accéder à une nouvelle compréhension de nos corps et de leurs possibles anéantissements et renaissance.
Cecilia Bengolea et François Chaignaud
Place Georges Pompidou 75004 Paris