Des bas-reliefs d'Angkor à la break danse, de la Kabylie des pères au hip-hop lyonnais, du pays d'hier au quotidien d’aujourd'hui, des traces de la mémoire aux gestes qui se souviennent... Lorsque le corps exulte... Sur le plateau... la rage !
Le dernier survivant de la caravane / Cameroun
Sur une trame et un titre empruntés au romancier centrafricain Etienne Goyémidé, accompagné par les rythmes et les chants pygmés, avec les mouvements de la capoeira et le son du berimbao, ou dans le souffle grondant d'un coeur battant, battu, Bouba Landrille Tchouda évoque la traite, la traque, la crainte, la contrainte, la puissance blessée, la force d'un corps vaincu mais rebelle... La fière méharée d'une Afrique meurtrie.
Chorégraphe et interprète Bouba Landrille Tchouda, collaboration artistique Véronique Teindas, création musique Manu Wandji, création lumière Fabrice Crouzet.
Apsara / Cambodge
Elles sont plusieurs centaines à danser sur les bas-reliefs des temples d'Angkor, ces Apsaras, « danseuses célestes » qui disent sur la pierre la beauté du corps, la sensualité du geste... Yiphun Chiem les convie sur le pavé occidental des danses de la rue. Elle joue de ce grand écart culturel et se joue de ses maladresses. D'un clin d'oeil amusé, elle invite à la rencontre de la danse traditionnelle cambodgienne, des arts martiaux et des jeux vidéo. Et soudain les déesses khmères font du hip-hop.
Chorégraphe et interprète Yiphun Chiem
Miroirs de l'âme / Algérie
Innocence, brutalité, angoisse, maturité... Quatre temps et plusieurs mouvements pour tenter de vaincre par le geste, les blessures de l'enfance, les douleurs de l'adulte, la perte des êtres chers ou la séparation du pays d'avant. Karim Amghar a la mémoire qui suinte. Les souvenirs l'obsèdent et les mots sont si douloureux. La danse vient alors « sans plainte ni impudeur » transmettre l'indicible.
Chorégraphe et interprète Karim Amghar
"L'occasion de voir en solo et non plus seulement en solistes trois remarquables danseurs." Marie-Christine Vernay, Libération, 22 avril 2008
"Trois solistes hip-hop (...). Ils font dialoguer leur culture d'origine et leur culture d'adoption. Un superbe travail riche d'émotions." Carène Verdon, Le Parisien, 16 avril 2008
"Yiphun Chiem danse à tomber (...) Sa limpidité gestuelle, sa rapidité jusque dans les détails hallucinent, transformant son mouvement en une série d'ellipses lumineuses. Une "danse bâtarde" selon sa définition, qui fait chaud partout." Rosita Boisseau, Le Monde, 26 avril 2008
Avec Bouba Landrille Tchouda :
Bernard Magnier : Votre spectacle reprend le
titre du roman de l’écrivain centrafricain
Etienne Goyémidé, Le dernier survivant de la caravane.
Pourquoi avez-vous choisi ce roman ?
Bouba Landrille Tchouda : En 1998, le dramaturge
Guy Boley m’a offert ce roman que je n’ai
lu que deux ans plus tard. Le propos s’est alors
imposé à moi jusqu’à devenir une urgence personnelle.
Cette histoire a déclenché quelque
chose de curieux, de violent, entraînant une
sorte de désordre de l’esprit et du corps, avec
comme seul témoin, le geste. Je vivais au rythme
des pages, je ressentais les joies, les peines,
la haine de ces gens bafoués, d’une façon atrocement
réaliste dans mon corps, dans ma tête.
Au début, à la création, j’avais du mal à danser
ce solo, j’avais l’impression de me faire mal.
Chaque représentation provoquait chez moi une
quasi angoisse suivie de pleurs… Aujourd’hui, je
gère mieux mes émotions, je sais pourquoi j’ai
besoin de danser ce solo et ça me fait beaucoup
de bien.
S’agit-il d’une adaptation fidèle ?
Ce solo n’est pas la traduction gestuelle du
roman. J’ai plutôt voulu transcrire ma vision et
ma perception de la traite négrière, pendant et
après la lecture de cette oeuvre. Ce roman a été
pour moi un point de départ, un déclencheur !
Dans le domaine de la danse, quelle est votre « famille » ? Quelles sont vos sources d’inspiration
artistique ?
Je me sens profondément danseur hip hop. C’est
la pratique de cette danse qui m’a construit, qui
m’a appris la vie, qui a fait de moi ce que je suis.
J’ai grandi au contact des gens qui la vivent au quotidien.
Cette danse fait partie de moi.
Je suis un danseur-chorégraphe hip hop qui s’est
nourri des courants qui ont traversé les danses du
XXe siècle. Dans ce sens, on peut dire que je suis
un danseur « contemporain ». Je défends la danse
hip hop, mais j’ai choisi des mots et des chemins
différents pour parler des choses qui m’interpellent,
me touchent, me font mal secrètement. Si la danse hip hop est là où elle est aujourd’hui,
en terme de reconnaissance, c’est parce qu’elle a
su aller à la rencontre d’autres esthétiques, de la
danse contemporaine, du jazz, des danses africaines,
des arts plastiques… Non pas parce qu’il « faut métisser » ou pour une question de mode,
mais pour nourrir une véritable démarche artistique
en s’appuyant sur des rencontres choisies.
Comment s’est effectuée votre venue à la danse ?
Je suis né à Douala au Cameroun. Je suis arrivé
en France à l’âge de 9 ans chez mon oncle et ma
tante, à Grenoble. Je pensais alors que je venais
pour des vacances et que j’allais retourner très
vite chez moi ! Je suis allé à l’école jusqu’au
bac… J’ai commencé la danse hip hop en 1986,
avec une bande de copains en bas de notre
immeuble, puis à la MJC du quartier. On ne
savait pas vraiment ce qu’on faisait, mais on
savait que ça nous faisait du bien de se retrouver
entre copains de même galère.
En 1993, avec deux autres copains, on a créé un groupe,
Les Paraboys Rap et on a multiplié les concours « battle ». A la fin de l’année, je suis parti au Brésil, à
Salvador de Bahia, pour étudier la capoeira.
De retour en France, en 1995, j’ai rencontré puis
travaillé avec Colette Priou, une chorégraphe
grenobloise qui fait un travail important auprès
de jeunes danseurs dans les quartiers. En 95,
j’ai créé mon premier spectacle Old Up en hommage
aux personnes âgées. C’est ce spectacle
qui nous a fait connaître dans notre ville, notre
département, notre région puis un peu en
France, puisqu’il a été programmé aux premières
Rencontres des Cultures Urbaines de la
Villette à Paris. Ensuite, notre groupe est devenu
la Cie ACA (Afro Culture Art) et, à partir de là, les
projets se sont enchaînés, principalement entre
la France, le Brésil et le Cameroun où j’ai vécu
des moments inoubliables lors de mon retour et
des retrouvailles avec la famille en 1999…
Je n’étais plus un sans-papiers depuis environ un an c’était la fête ! Je me souviens du jour où je suis revenu comme si c’était hier. Toute ma grande famille était là, à l’aéroport, sauf mon père. Il était très fatigué et déjà souffrant. J’ai été accueilli comme un véritable notable.
Pouvez-vous nous parler de votre découverte
de la danse brésilienne, de la capoeira, et de
son importance dans votre travail ?
C’est une rencontre fondamentale qui trouve sans
doute ses raisons d'être dans des racines communes
très profondes. La capoiera m'a marqué
car elle est l’expression la plus proche de ce que
je recherchais en tant que danseur hip hop. Au
Brésil, j'ai rencontré des danseurs qui, comme
moi, étaient en quête d'une danse nouvelle.
Depuis, j'y vais régulièrement afin de former des
danseurs de rues à São Luís de Maranhão dans le
nordeste brésilien. Nous avons des valeurs communes
liées au mouvement, à la spontanéité, à la "débrouillardise", à la générosité, au partage et à
l'improvisation permanente. Au Brésil, plus
qu’ailleurs, le hip hop permet de véhiculer une
image positive de soi. C’est un vecteur de reconnaissance
et de revendication. Et, qui plus est,
sans avoir recours à la violence.
Grâce à ces rencontres, un changement radical
s'est opéré dans ma danse, dans ma manière de
la mettre en scène, de la défendre. J’ai donné
sens à ma danse. Je crois en avoir trouvé l'essence.
J'ai affiné ma démarche artistique et je
me suis positionné en tant que chorégraphe
franco-afro-brésilien. Le Brésil m'a libéré de
moi-même et il est parvenu à fusionner ma vie
de Français de France dans un corps de Noir
natif du Cameroun qui vibre à la capoeira comme
un Brésilien et qui marie toutes ces facettes
pour devenir le danseur, le chorégraphe qui
sommeillait en lui.
Propos recueillis en février 2008
Avec Yiphun Chiem :
Bernard Magnier : D'où vient votre goût, votre passion
pour la danse ?
Yiphun Chiem : La danse, comme la musique, sont entrées
dans ma vie par le biais de la famille et de la communauté
cambodgienne de Belgique. Lorsque j’étais enfant, les premières
notes de musique que j’ai entendues sont venues
de la culture cambodgienne, une musique pleine de tambours
et de cloches. Etre khmère veut d’abord dire être
religieux, aussi tous les moments où j'ai pu écouter ces
sonorités et voir ces danses d'une grâce magnifique qui les
accompagnent, c'était lors des rassemblements du Nouvel
An ou des cérémonies organisées pour la fête des morts.
J'ai été initiée très tôt, à l'âge de sept ans, aux arts du dessin
et de la danse. C'est une tradition pour les jeunes Cambodgiennes
de passer par l'apprentissage des danses dites
célestes... C’est resté pour moi assez occasionnel et vers
l'âge de quinze ans, j'ai arrêté de faire des prestations...
Durant mes études, j'ai eu du mal à trouver mon orientation.
Régulièrement, on relevait mon aptitude pour les disciplines
artistiques mais je devais y renoncer car mes
parents désiraient que je choisisse une voie plus sûre...
Pourtant, j'ai finalement abandonné les études et j’ai choisi
de vivre de la danse à l’âge de vingt ans...
Pourquoi avoir choisi ce titre pour votre spectacle ? Que
représentent pour vous les Apsaras, ces "danseuses
célestes" qui ornent les murs des temples d'Angkor et
qui donnent leur nom à votre solo ?
Les Apsaras sont les symboles de la féminité et de la
grâce. Lors des cérémonies, elles offrent des danses
sacrées qui ne peuvent exister sans un triangle d’affinité,
danse-chant-musique. Leur « vocabulaire » comprend
près de cinq mille gestes. Il me faudrait dix ans de pratique
pour devenir une apsara, et je ne suis pas au
Cambodge, je vis en Europe et j'ai la rue pour trouver mon
identité…
Comment qualifierez-vous votre travail ?
Je présente une danse « bâtarde ». Une danse personnelle
qui veut faire exister cette énergie, cette grâce, cette
beauté mais dans une dynamique masculine, plus urbaine,
plus ancrée dans la réalité des choses.
Comment est née l'idée de ce spectacle ?
« Prends soin de ton corps » m’a dit mon père après la
naissance de ma fille. C’est un propos étonnant de la part
d’un père mais il avait raison. Le corps a ses blessures,
comme un arbre dans lequel on plante un clou que l’on
retire ensuite mais dont il reste la trace…
Je réalise que la manière dont j'ai appris à développer la
spontanéïté et l'esprit hip hop dans la danse m'a permis
de laisser davantage parler le corps et ce qu'il peut contenir
comme charge émotionnelle...
L'idée principale du spectacle est celle d’une fleur qu’on
ne peut jamais déraciner. Ma danse est une réconciliation
avec ma double culture. Dans ma danse, je ne me déracine
pas… je vis avec mes deux cultures.
Vivre votre double culture, est-ce là la seule ambition de
votre spectacle ?
Si le message des Apsaras est d'apporter aux hommes
l'amour de Dieu, alors ma danse s'en inspire et je souhaite, à ma façon, apporter un monde plus doux, plus humain…
Vous êtes l'une des rares femmes à vous exprimer dans un
univers très masculin. Comment vivez-vous cette situation ?
Est-ce un avantage ? Est-ce un inconvénient ?
Dans ce monde, je ne pense pas être une femme devant eux, je
ne suis pas là pour discuter de ça. Le principal est que je m'entraîne
et que j'évolue. On ne me voit pas comme une femme
mais plutôt… comme une folle ! (rires) Est-ce un avantage ou
un inconvénient ? (rires) Je ne vous le dis pas. C’est top secret.
Je préfère qu’on me prenne pour une folle !
Propos recueillis en janvier 2008
Avec Karim Amghar :
Bernard Magnier : Comment est né votre goût pour la
danse ?
Karim Amghar : Pour la première fois, à 12 ans, en
regardant des danseurs à la télévision, puis, à quatorze
ans, quand j'ai rencontré des chorégraphes du mouvement
hip hop en France. Je me suis décidé à en faire
mon métier à seize ans avec l'insouciance du moment.
A dix-sept ans, j’ai arrêté mes études, sans regret, et
j’ai démarré mon aventure artistique, à Lyon tout
d’abord, pendant quatre ans, puis en revenant à Valence
pour créer la compagnie A’corps avec mon ami et partenaire,
Olé Khamchanla.
Quels sont vos goûts musicaux ?
Ils sont très divers. La musique traditionnelle, les musiques
du monde, la musique africaine en particulier, l’électro, le
rap, la chanson française. Je peux citer Shurik'n, Iam, le
chanteur kabyle Idir, Dhafer Youssef, Imothep, Kif kif prod,
les musiques d’Armand Amar, Mimetic, ...
Pourriez-vous expliquer le titre de votre spectacle « Miroirs de l’âme » ?
C’est un miroir car ma danse s'inspire d’instants de vie,
d'événement passés et présents, tout en regardant vers
l'avenir. Comment mon corps réagit-il aux douleurs
profondes ? Où puiser la force intérieure nécessaire
pour surmonter les épreuves de la vie ? Ce sont
quelques-unes des questions que j’aborde dans ce
solo. Mon corps est l’instrument par lequel je pense,
par lequel j’explore ma conscience et me confronte à
mes propres limites, par lequel je raisonne et, finalement,
par lequel j’existe. Je veux évoquer ma vie, sans
plainte ni impudeur, simplement parce que cela s’impose à moi comme une nécessité vitale.
Peut-on savoir quels sont ces « instants de vie », ces « douleurs profondes » ?
Ce sont les moments que nous vivons tous, l'absence
d'un être cher, la disparition soudaine d'un membre de
la famille ou, tout simplement, le combat pour se maintenir
en vie. Je suis danseur chorégraphe et, sur scène,
d'une façon peut-être égoïste, j'utilise ce vécu pour me
raconter et pour évacuer ce mal. Dans la vie, je suis
entouré par beaucoup de gens auprès desquels je n’aime
pas me plaindre. Quoi qu’il arrive, je prends sur moi
mais mon esprit et mon corps sont nourris par mon
histoire. Ma gestuelle et ma danse le sont aussi…
Quatre temps pour ce spectacle : "innocence", "brutalité",
"angoisse", "maturité"... Pourriez-vous développer ce
que vous entendez derrière ces mots ?
« Innocence » c’est être dans l'enfance et ne pas le
savoir. Dans l’enfance, tout paraît simple à comprendre.
Avec les années, on apprend et on ressent le manque.
« Brutalité »… comme la mort qui frappe à la porte à 7h
du matin.
« Angoisse »… quand on sait que le temps est compté
pour un proche, même si parfois les médecins se trompent
(ils avaient donné six mois à ma soeur et elle est
toujours en vie près de deux ans plus tard…). On n’est
jamais à l’abri d’un départ, même du sien.
« Maturité » dans ma vision, dans la construction de la
danse et dans une certaine acceptation de ces moments
de vie qui sont gravés dans ma mémoire.
Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous
vous êtes heurté dans la construction de ce spectacle ?
Je n'ai eu aucun problème lié à la création sauf, peut être, celui d’être seul dans une salle de répétition pendant
plusieurs mois.
Quelles sont vos attentes avec ce spectacle ?
Je sais qu’en voyant ce solo, certains spectateurs
retrouveront un ou plusieurs moments qui feront appel à leurs propres souvenirs. C'est comme cela que je
veux partager ce moment dansé avec le public.
Propos recueillis en février 2008
Parc de la Villette 75019 Paris